Michel Rocard, ancien Premier ministre
Par Michel Rocard-
Publié le : 03/02/2014
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Lecture 4 min
Il faut se mettre en tête que si on brigue un mandat, il faut au préalable être porteur d’un projet clair.
A) Présentation de Michel Rocard
1) Bonjour Monsieur Rocard. Pourriez-vous vous présenter succinctement ?
Bonjour. Je suis un Haut Fonctionnaire qui est entré en politique par refus des guerres coloniales, notamment celle d’Algérie. J’ai ensuite dédié ma vie à la politique.
J’ai occupé plusieurs fonctions comme celles de Premier Ministre au début du second septennat de François Mitterrand en 1988 ou de Premier Secrétaire du Parti socialiste pendant une brève période.
2) Que retenez-vous de vos expériences en politique ?
La politique se détériore de plus en plus et est dénaturée par les médias. On en vient à oublier que l’objectif premier de la politique est de gérer les sociétés.
Du point de vue des médias, on a l’impression que le politique ne pense qu’à sa propre promotion car la presse choisit une phrase dans un discours, en général la plus polémique, et en fait un article.
Face à cela, la plupart des politiques sont désarmés car, à l’exception du Premier Ministre et du Président de la République, ils ne peuvent pas s’adresser directement à nos concitoyens.
Qui plus est, le fait que le politique ne dispose pas ou plus des moyens techniques pour lutter contre les principaux maux de la société :
– au niveau de l’économie, on ne peut plus assurer le plein-emploi
– au niveau de la finance, on n’arrive pas à empêcher les bulles spéculatives et les crises
– au niveau de l’écologie, on ne parvient pas à réduire l’effet de serre
Ces problèmes rejaillissent de manière négative sur l’image du politique.
Le politique ne peut pas créer les outils qui permettront de solutionner ces problèmes, il doit utiliser ce qu’il a à disposition car il n’est pas chercheur en Sciences Humaines. Pour faire une analogie : pour la lutte contre le SIDA, il ne peut pas inventer le vaccin, il ne peut faire que des campagnes de prévention. De la même façon, il ne peut pas faire baisser le chômage sans de nouvelles pensées économiques.
3) Avec du recul, y a-t-il des choses que vous feriez différemment ?
Pour agir en politique, il faut accéder au pouvoir. Si j’ai été Premier Ministre, je n’ai été que le numéro 2 du gouvernement.
B) Comprendre l’univers de la politique
4) De plus en plus de jeunes se désintéressent de la politique. Que voudriez-vous dire à ces jeunes électeurs qui se sentent désabusés ?
Les médias, notamment les chaînes d’information continue, ne parlent pas de ce qui est complexe. Par exemple, ils ne comprennent pas la crise actuelle qu’on est en train de vivre. Et comme il leur est impossible de l’expliquer, ils montrent des images plutôt que les discours. Si on veut comprendre les débats de fond, seuls les écrits le permettent.
A ces jeunes qui se sentent désabusés, je leur dirais de ne pas oublier le but de la politique qui est, encore une fois, de gérer des sociétés. Les combats internes font certes partie de la politique mais ce n’est pas de la politique pour autant.
5) Est-ce par la politique qu’on peut améliorer le monde à grande échelle ?
J’en suis de moins en moins sûr pour deux raisons. La première est que le politique ne peut agir que sous la condition de la technique. Si une théorie économique est inefficace, son application le sera également. La seconde est que le politique n’a pas réellement le pouvoir. Ce sont les médias et la finance qui le détiennent. Enfin, une réforme ne peut passer que si les médias y sont favorables.
Il en découle que la politique est disqualifiée et méprisée car elle est jugée inefficace et les hommes politiques apparaissent comme des comédiens.
C) Comment se lancer en politique
6) A-t-on besoin d’une formation pour se lancer en politique ? Si oui, lesquelles conseilleriez-vous ?
On peut être élu quelle que soit sa formation initiale. Néanmoins, pour gérer les sociétés, il faut des compétences. Pour ma part, j’ai choisi de faire Sciences-Po et l’ENA pour justement les acquérir. Nicolas Sarkozy et François Mitterrand sont avocats de formation. Ils n’ont donc pas appris la gestion de l’Etat ni les techniques de gouvernance d’une économie.
7) La politique est-elle un métier ? Si oui, peut-on (bien) en vivre ?
Il existe deux catégories de fonctions politiques :
– La première concerne les fonctions où on est élu par suffrage universel comme Président de la République ou Maire. Ces fonctions incombent de lourdes responsabilités donc il est normal qu’elles soient rémunérées. Néanmoins, le niveau de rémunération est trop faible par rapport à tout le travail fournir, ce qui pousse un certain nombre d’hommes politiques à frauder. Il faudrait augmenter leur salaire.
– La seconde, ce sont les fonctions liées à l’organisation des partis politiques : elles sont supposées être bénévoles car ce sont des actions volontaires. Comme ce ne sont pas des fonctions directement utiles à la société, elles ne sont pas ou peu rémunérées.
8) Quelles qualités faut-il pour faire de la politique ?
Déjà, il faut avoir la peau dure car le métier est cruel. Il faut savoir résister et faire face aux insultes. Ensuite, il faut une bonne santé car c’est un métier harassant. Il faut également être un peu intelligent et être tenace pour se faire connaître auprès du grand public.
9) Est-il possible, après un parcours politique (quel qu’il soit), de venir travailler dans une entreprise privée ? Si oui, ce genre de profil est-il valorisé aux yeux des recruteurs ?
Cela varie en fonction des pays. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, c’est bien valorisé. En France, c’est peut-être un peu plus difficile.
10) Quels conseils donneriez-vous aux jeunes pour se lancer en politique (comment créer son réseau, quel premier mandat visé, comment préparer une élection…) ?
En premier lieu, il faut choisir un parti porteur, qu’il soit de gauche ou de droite. Ensuite, il faut se mettre en tête que si on brigue un mandat, il faut au préalable être porteur d’un projet clair.
11) Merci pour cet entretien. Je vous laisse le mot de la fin.
L’action politique est menacée dans sa légitimité à cause d’un manque d’efficacité en matière économique, financière et écologique. Pour lutter contre cela, il est primordial de réconcilier la politique et les techniques.
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