Devenir Professeur de droit à l’Université
Par Valérie-
Publié le : 21/06/2018
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Lecture 5 min
Pour se lancer dans une carrière universitaire, il faut aimer la liberté, être motivé par le fait que, si l’on réussit à obtenir un poste, on a le temps et la possibilité de réfléchir sur les sujets que l’on veut
1) Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Valérie, je suis professeure de droit dans une université de la région parisienne. J’ai quarante deux ans et je suis professeure depuis 12 ans.
2) Quelles ont été les grandes étapes de votre formation ?
J’ai commencé par suivre un parcours universitaire classique de cinq ans. À l’époque, c’était le deug, la licence, la maîtrise puis le DEA (diplôme d’études approfondies) ; maintenant c’est une licence en trois ans, ensuite le master et master 2. Ça reste cinq années à l’université.
Ensuite, j’ai fait six ans de thèse de doctorat. A l’issue de ces six ans, j’ai été nommée maître de conférences. J’ai été maître de conférences pendant un an. J’ai ensuite passé l’agrégation du supérieur et je suis devenue professeure agrégée des universités.
3) Comment est-on nommé professeur ?
On est nommé par la voie du concours d’agrégation ou après plusieurs années d’enseignement et de recherche, par ce qu’on appelle « la voie longue ».
4) Pourquoi avoir choisi le droit ?
J’ai fait un bac scientifique mais je ne voulais pas faire des maths ou de la physique, même si j’aimais beaucoup cela, ça m’amusait. Je voulais étudier une matière qui avait un rapport avec l’organisation politique et sociale des hommes et des femmes entre eux. Je voulais faire des sciences sociales.
J’ai été attirée par le droit parce que c’est une matière qui laisse beaucoup de possibilités, c’est une discipline assez ouverte qui permet de faire différentes choses par la suite, comme de la politique, devenir avocat, juge, juriste d’entreprise, ou faire de la recherche et de l’enseignement.
5) Comment se répartit votre temps de travail ?
Les professeurs d’université et les maîtres de conférences, comme d’autres qui ne sont malheureusement pas titulaires à l’université, sont des enseignants-chercheurs.
La moitié de mon temps est consacrée à l’enseignement : pendant les périodes de cours, je vais deux fois par semaine à l’université où j’enseigne plusieurs heures par jour, ce qui, bien sûr, demande des heures de préparation.
L’autre partie de mon temps est consacrée à la recherche. La recherche en droit, ça consiste par exemple à recenser des décisions de justice, des textes ou des projets de lois, à les examiner, les mettre en regard les uns avec les autres, les décortiquer et/ou les critiquer.
6) Quel est le salaire d’un universitaire ?
En début de carrière, un maître de conférences titulaire gagne autour de 2000€ par mois. Mais il faut savoir qu’il y a des maîtres de conférences vacataires, embauchés juste à l’année sur contrat, c’est plutôt nouveau mais ca tend à se généraliser.
Moi, je n’ai pas eu d’allocation de recherche. J’ai été chargée de TD, j’avais des postes précaires. Puis j’ai obtenu un poste d’attaché temporaire, ce qu’on appelle ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche), où l’on gagne un peu moins de 1000€ par mois. Et maintenant, après 12 d’années d’enseignement, je gagne autour de 3800€ par mois.
7) Est-ce très difficile d’obtenir un poste ?
Ça dépend des périodes. À l’époque où j’ai été nommée, c’était extrêmement sélectif.
Actuellement, comme on commence à manquer de maîtres de conférences, ça l’est un peu moins. De moins en moins de gens se sont engagés dans cette voie parce qu’il n’y avait pas de débouchés : on faisait une thèse pendant des années — ce qui représente un investissement très important — avec très peu de chances d’obtenir un poste à la fin.
Mais même si c’est peut-être un peu moins difficile en ce moment qu’à certaines périodes, ça reste très sélectif. Même avec une bonne thèse, on n’est pas sûr de décrocher un poste. L’époque est plutôt à la réduction des postes.
8) Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaiterait se lancer dans une carrière universitaire ?
Pour se lancer dans une carrière universitaire, il faut aimer la liberté, être motivé par le fait que, si l’on réussit à obtenir un poste, on a le temps et la possibilité de réfléchir sur les sujets que l’on veut.
En sciences dures, un chercheur a besoin de matériel : pour faire des expériences de physique, il faut avoir un laboratoire, donc on ne peut pas décider seul que l’on va faire des essais sur les neutrons… Par contre, lorsque l’on travaille dans les sciences sociales, si on décide, par exemple, de consacrer six mois à l’étude des discriminations homme-femme, on est libre de le faire.
Donc les chercheurs en sciences sociales, les historiens, les sociologues, les gens qui travaillent sur la littérature, tous ceux qui n’ont pas besoin de beaucoup de moyens financiers pour faire leurs recherches, sont beaucoup plus libres.
Si vous êtes passionné par l’Histoire et que vous avez envie de vivre de vos recherches, vous pouvez tenter de rentrer dans cette machine. Il faut préciser que la structure est assez conservatrice. Dans un projet de recherche, de thèse, il y a des canons universitaires. Vous ne serez pas complètement libre dans le cadre de vos pré-recherches. Une thèse trop novatrice ne plaît pas toujours, à moins d’être vraiment brillantissime. Mais une fois que vous avez démontré que vous savez faire de la recherche, vous aurez une liberté incroyable, qui n’a pas de prix. Je ne sais pas comment je ferais aujourd’hui pour avoir un patron qui me dise ce que je dois faire le matin, etc.
9) Est-ce plus difficile pour une femme ?
C’est difficile de répondre dans l’abstrait mais je dirais que oui, c’est un milieu dominé par les hommes. Mais c’est un milieu très codé, socialement parlant, où il n’y a pas de violence apparente trop forte. Il y a une enveloppe protectrice. Jamais on ne m’a fait une remarque ouvertement machiste.
Mais les professeurs de droit, les profs d’université en général, restent majoritairement des hommes. Par contre parmi les maîtres de conférences, qui sont moins hauts dans la hiérarchie, il y a plus de femmes.
Comme dans d’autres milieux majoritairement masculins, c’est plus difficile pour une femme parce qu’elle va peut-être moins facilement se projeter, se dire qu’elle va y arriver. Une femme ne sera peut-être pas encouragée de la même manière par son directeur de thèse, des choses comme ça. Mais je pense qu’il y a plus d’inégalités sociales que sexistes.
C’est plus une histoire de codes, de milieu social, que de sexe, je pense.
10) Je vous laisse le mot de la fin.
Ce que je trouve intéressant à l’université, c’est que l’on peut y acquérir une autonomie dans ses études. Sans aller nécessairement jusqu’à la thèse ou jusqu’à intégrer le corps des professeurs et des enseignants-chercheurs, bien avant ce stade, on a une marge de manœuvre, une liberté dans sa façon de travailler.
Elle est sans doute de moins en moins grande – je vois celle que l’on offre aux étudiants actuellement par rapport à celle qui nous était offerte – mais tout de même, dans l’organisation du travail, ce n’est pas comme dans une école où les journées sont « timée ». À l’université, on a beaucoup de temps libre, on organise soi-même sa façon de travailler. S’il y a une matière qui vous intéresse plus qu’une autre, vous avez la possibilité d’y consacrer plus de temps. Pour peu que vous rencontriez des professeurs intéressants, vous serez dans la liberté d’apprendre et de cheminer dans la construction d’une pensée critique. C’est « le plus » de l’université.
C’est aux étudiants de saisir la chance de ne pas se retrouver dans un milieu trop professionnalisant. Les formations professionnalisantes, comme on dit, où toutes les études sont orientées vers l’apprentissage d’une activité ciblée, ne fonctionnent souvent pas, parce que ce n’est pas si simple…
L’université permet d’apprendre à apprendre, d’apprendre à réfléchir.
Par la suite, vous pourrez un jour décider d’être ceci ou cela, et vous aurez aussi, éventuellement, la possibilité de changer de voie.
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