Devenir Médecin chirurgien thoracique et vasculaire
Par Sacha Mussot-
Publié le : 02/06/2018
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Pour être un bon chirurgien, je pense qu’il faut être courageux, il faut être capable de supporter la privation de sommeil, capable de travailler beaucoup et longtemps, parce que c’est une formation qui est longue
1) Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Sacha Mussot, j’ai 49 ans, je suis chirurgien thoracique et vasculaire dans une structure privée à but non lucratif, petit centre hospitalo-universitaire de 200 lits, avec quatre services hyper spécialisés dans la chirurgie thoracique et vasculaire et cardiaque de l’adulte et de l’enfant.
C’est l’un des plus gros services thoraciques et vasculaires français et c’est la dix-neuvième année que je travaille dans cet endroit.
2) Pourquoi avez-vous choisi cette branche, la chirurgie, et ensuite cette spécialité ?
La chirurgie, on l’oppose communément à la médecine. C’est une opposition qui n’est pas absurde, mais je pense que la meilleure définition de la chirurgie, c’est un vieux praticien hospitalier que j’avais rencontré quand j’étais jeune interne qui me l’a donnée : « La chirurgie, c’est un moyen brutal mais efficace de régler les problèmes des gens. »
Quand j’ai commencé mes études de médecine, c’était avec l’idée de faire des recherches en neurosciences, mais j’ai très rapidement compris que ça n’était pas du tout ce qui m’intéressait. Plus tard, j’ai commencé à faire des stages, j’ai trouvé que la chirurgie était, à l’évidence, quelque chose d’effectivement brutal mais qui avait le mérite de régler des problèmes : on rentre au bloc opératoire avec un problème et on en sort quelques heures plus tard, guéri, ou du moins avec d’énormes progrès faits sur la maladie.
J’ai fait également des stages de médecine, et j’ai trouvé cela laborieux, lent, souvent absurde… C’est l’immédiateté et l’efficacité de la chirurgie qui m’ont beaucoup plu.
Par la suite, on a des idées et on rencontre des gens, des gens que l’on admire (ou du moins pour une partie de la personnalité), et c’est comme ça, c’est des rencontres que l’on fait.
Le premier chirurgien que j’ai rencontré, c’était un chirurgien vasculaire qui m’a impressionné par sa maîtrise technique (un peu moins par sa maîtrise humaniste) et j’ai voulu faire de la chirurgie vasculaire, parce que j’étais complètement bluffé par le côté extrêmement technique et sophistiqué de cette chirurgie et surtout par son côté versatile et diffus, puisque l’on pouvait se balader de l’extrémité du dos du pied jusqu’aux artères de la base du cou, voire de la base du crâne, en passant par toutes les artères qui existent entre les deux.
Par la suite, dans mon évolution, j’ai découvert que c’était intéressant, mais pas si on en faisait une finalité parce que, effectivement, les vaisseaux c’est très important, mais il n’y a pas de physiologie, pas de physiopathologie. Ce n’est pas un organe, c’est un tissu, un tissu très important et parfaitement noble, mais ce n’est pas un organe.
En fin d’internat, j’ai découvert la chirurgie thoracique, la chirurgie de tout ce qui concerne la cage thoracique en tant que contenant et son contenu, principalement les poumons et tous les éléments du médiastin (il n’y a pas que le cœur).
J’ai découvert que c’était une chirurgie extrêmement passionnante, très complexe et surtout qui devait tenir compte de la physiologie. Les poumons, par exemple, ça sert à respirer et c’est en même temps au milieu d’une circulation vasculaire très complexe. Il y a un système à basse pression et avec un nombre de pathologies invraisemblables, dont le traitement chirurgical est extrêmement complexe.
Ça a été une révélation, mais comme j’étais en fin d’internat, il était un peu tard pour changer de voie. J’ai donc commencé mon clinicat en tant que chirurgien vasculaire, et j’ai très rapidement touché les limites de cette chirurgie, qui est tout à fait utile, qui rend beaucoup service aux gens mais je trouve ça un peu triste de n’en faire qu’une finalité.
Le hasard a voulu que mon ancien patron, qui m’avait connu interne un an auparavant, a récupéré à ce moment-là la moitié d’un deuxième service, en plus du sien, donc il a eu besoin de bras, d’un peu de têtes et d’hommes, et il m’a proposé un poste dans son service que j’ai accepté très rapidement… Ça a été complètement le hasard, et, moi qui étais un chirurgien vasculaire, je me suis retrouvé en chirurgie thoracique et vasculaire.
Je me suis mis à faire de plus en plus de chirurgie thoracique, chirurgie qui me fascine encore aujourd’hui. La chirurgie vasculaire est devenue un moyen de faire de la chirurgie thoracique complexe. La chirurgie vasculaire, c’est un outil très sophistiqué qui est un levier pour faire d’autres choses que la chirurgie vasculaire pure.
Avec le temps, je suis devenu un chirurgien senior de ce service. L’hôpital où je travaille, est un endroit hors du commun où l’on traite des pathologies qui n’existent quasiment pas ailleurs. On y fait de la chirurgie tout à fait standard, on enlève des petits cancers du poumon de façon mini-invasive comme on en fait dans tous les services de chirurgie thoracique, et l’on fait également des chirurgies que l’on ne fait quasiment que là, des chirurgies extrêmement délabrantes mais dont le but est de guérir les gens.
Il y a une chose qui m’a guidé tout au long de ma carrière : il ne faut pas oublier que la médecine, c’est fait pour guérir les gens, ou, au moins, leur rendre service. On ne fait pas de la chirurgie pour se faire plaisir, pour faire de belles opérations totalement désincarnées de leur but. Le but de ce métier, le but du métier de médecin, c’est de soigner les hommes et les femmes le mieux possible, en étant le plus proche possible des dernières actualisations de la science, tout en étant le plus humain et le plus humaniste possible.
Cela, je peux le faire là où je travaille. Je connais un certain nombre d’autres endroits où c’est un peu moins évident. C’est pour cette raison que j’y suis resté dix-neuf ans et que je compte y rester encore quelque temps, sans doute.
3) Quelles sont les principales qualités nécessaires pour exercer ce métier ?
Il y a une chose qui est claire, d’un point de vue général, c’est qu’il faut faire médecine parce que l’on a un minimum de vocation. Parce que c’est un métier trop complexe, trop long à acquérir, qui va être assez vampirisant dans votre vie… Parce que si vous êtes plombier, quand vous allez au cinéma, s’il y a une fuite, vous n’êtes pas obligé de la réparer, parce que vous n’avez pas votre matériel, etc. Par contre, si vous êtes médecin (je n’ai rien contre les plombiers, c’est un corps de métier pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, le chirurgien étant un peu le plombier des médecins), vous êtes médecin tout le temps : quand on va au cinéma, si votre voisin s’effondre, et bien, on arrête de regarder le film et on le soigne. C’est quelque chose qui devient une partie de vous-même.
Donc, il faut, pour devenir médecin, en avoir vraiment envie. Il faut avoir de bonnes raisons pour cela. Il ne faut pas que ça ne soit une crise narcissique, il ne faut pas faire ça parce qu’on a échoué en architecture ou que l’on est pas assez bon pour être diététicien, il faut avoir envie de soigner les gens, de faire progresser la santé.
Tous les médecins ne finissent pas par soigner les gens, certains se tournent vers la recherche et travailleront en laboratoire avec des tubes à essai et des pipettes, mais malgré tout, il y a un but commun qui est d’essayer de faire progresser la santé.
Il serait absurde d’imaginer qu’il faut être particulièrement adroit de ses mains pour faire de la chirurgie. Je n’ai pas dit qu’il faut être totalement maladroit, bien sûr, si on a un tremblement essentiel majeur, si l’on est maladroit au point de se blesser à chaque fois que l’on coupe sa viande, ce n’est peut-être pas la bonne carrière à embrasser mais il n’y a absolument pas besoin d’être virtuose ou surdoué des mains, parce que ce ne sont pas les mains qui commandent le geste, c’est le cerveau…
Des plus grands chirurgiens que j’ai fréquentés, peu étaient virtuoses, mais c’était surtout des gens qui avaient un cerveau bien fait. Ils comprenaient ce qu’ils faisaient et leurs mains suivaient. Les mains exécutent ce que le cerveau dit.
La chirurgie, c’est très souvent plus vampirisant que la plupart des autres spécialités médicales : dans beaucoup de spécialités chirurgicales, on fait des gardes, on opère la nuit. Donc, il y a un degré d’investissement dans ce métier qui est important. Il faut être prêt à le faire. Ce qu’il faut, c’est avoir envie de soigner les gens et être prêt à s’investir.
Pour être un bon chirurgien, je pense qu’il faut être courageux, il faut être capable de supporter la privation de sommeil, capable de travailler beaucoup et longtemps, parce que c’est une formation qui est longue. Il va se passer beaucoup de temps avant que l’on vous laisse tout seul ouvrir en deux un cerveau, un crâne, un thorax, un cœur, un abdomen…
Il faut être pugnace, il faut être capable d’être patient, de regarder longtemps, de lire beaucoup, d’écrire un peu, d’aider beaucoup pour un jour être aidé. Puis un jour être laissé seul à faire les gestes.
Il faut en avoir envie, et ensuite s’en donner les moyens, ce qui prend beaucoup de temps et d’énergie.
4) Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaiterait se lancer dans cette voie ?
Je conseillerais de lire quelques livres : L’Après-midi bleu de William Boyd, Les Princes du sang de Gilbert Schlogel ; de regarder Mash, le film de Robert Altman, d’éviter de regarder Grey’s Anatomy parce que c’est trop loin de la réalité, une vision très infantile (les chirurgiens opèrent tout et n’importe quoi et surtout des opérations exceptionnelles deux fois par semaine. Ce n’est pas du tout cela la chirurgie. On peut faire des opérations exceptionnelles mais on ne peut pas faire que cela.)
Par contre, une vision assez juste de ce qu’est la chirurgie, c’est Urgences, là c’est très proche de la réalité (la série américaine qui a eu onze ou douze saisons largement intéressantes).
Pour l’histoire de la chirurgie, la série de Steven Soderbergh, The Knick, est extrêment bien faite. J’ai vraiment l’impression que c’est l’hôpital dans lequel je travaille où ça a été filmé… C’est une boutade, mais je crois que ce n’est pas mal de voir ça, parce que c’est une vraie image de ce qu’est la chirurgie.
Je conseillerais aussi de vous débrouiller pendant vos études secondaires de faire votre stage de troisième dans un hôpital. Ou si vous avez un de vos camarades de classe dont le père est médecin ou chirurgien, demander si vous pouvez venir l’accompagner un jour à l’hôpital. Je crois qu’il faut voir ce que c’est pour pouvoir prendre une décision.
Donc, il faut d’abord en avoir réellement envie et après, regarder si cette envie que l’on a colle à la réalité de ce que l’on essaye d’embrasser.
5) Avec le recul, que pensez-vous des études de médecine ?
Je pense que c’est le plus mauvais rapport qualité/prix dans le temps passé sur les bancs de la faculté dans le bachotage, par rapport à ce que l’on a retenu à la fin. Ce sont des études d’une longueur invraisemblable et je suis sûr qu’il y aurait moyen de les rendre moins longues et plus pertinentes.
La première année, c’est une année de barrage où l’on pourrait apprendre le bottin. On pourrait dire, voilà, vous allez tous apprendre de la lettre A à L du bottin de la région de Limoges, ça pourrait être ça. Ce n’est pas ça, heureusement, c’est un peu moins rébarbatif, ce n’est pas que sur la mémoire, c’est un peu sur l’intelligence.
Quand j’ai fait mes premières années d’études, on se servait des outils les plus sophistiqués que l’on avait eu en main en terminale dite scientifique (terminales C et D).
Parce que la plupart des matières sélectives en première année étaient des matières scientifiques. Ça a un peu changé, je crois qu’il y a un peu d’Humanité en première année, mais malgré tout ce sont les meilleurs élèves des terminales dites scientifiques qui ont les meilleures chances de réussir.
Ce sont des études longues, rébarbatives parfois. Il y a des matières insupportables qui ne serviront à pas grand-chose.
Moi, j’ai commencé médecine en 1986, il y a peut-être eu des progrès, il y en a sans doute eu, ça reste quand même six ans, donc on n’a pas diminué le nombre d’années de médecine, et quelque part, c’est sans doute parce que, effectivement, apprendre le fonctionnement normal et pathologique du corps humain, c’est long et complexe et il faut un certain nombre d’années pour arriver à l’ingérer, avec les sédiments successifs d’apprentissage et d’oubli.
6) Je vous laisse le mot de la fin…
Dans la librairie de l’hôpital Ambroise Paré, hôpital où j’ai passé le plus de temps entre mes stages de stagiaire, d’externe et de début d’internat (par une espèce de réflexe grégaire, on choisit très souvent de passer les premiers semestres dans des hôpitaux que l’on connaît, parce que l’on a un peu peur, on est un peu perdu), il était accroché, à l’endroit où l’on enregistrait les bouquins que l’on empruntait, un dessin où l’on voyait, dans une espèce de supérette sordide, la caissière en pleurs se tenant la tête dans les mains, à côté d’un homme et d’un petit garçon, qui était de toute évidence leur fils, qui disait : « Maman, papa, je veux faire médecine », et le père le morigénait en lui disant : « Arrête de faire pleurer ta mère ! »
J’adorais ce dessin ! C’est pour dire que voilà, c’est un métier qui est potentiellement un métier extraordinaire mais si on s’est trompé de voie, si l’on l’a choisi pour de mauvaises raisons ou si c’est trop loin de ce que l’on s’imaginait, ça peut être à mon avis un enfer long et sordide.
Donc, il faut avoir envie de le faire, savoir que l’on va passer beaucoup de temps avant d’avoir le droit d’être médecin, ensuite, lorsque l’on va exercer, ça va prendre également beaucoup de temps.
Une fois que l’on est médecin, on va être médecin tout le temps, donc c’est une partie de vous dont on ne se sépare jamais, donc il faut être prêt à endosser cet habit « inenlevable ».
Je conseille donc à ceux qui en ont vraiment envie de le faire, et à ceux qui ne sont pas sûrs de bien y réfléchir.
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