Nicolas Petit, ancien COO de Microsoft, 7 ans plus tard [Interview retour]
Par Nicolas Petit-
Publié le : 04/10/2022
-
Lecture 6 min
Une carrière doit aujourd’hui être envisagée comme un assemblage unique de briques d’expériences, de compétences, de rencontres et nous sommes les seuls à savoir à quoi nous voulons que cette construction ressemble à la fin :-)
1) Bonjour Nicolas. La dernière fois que nous avions échangé ensemble, c’était en 2015 et vous étiez alors COO de Microsoft France. En 7 ans, on se doute qu’il a dû y avoir pas mal de changements. Pouvez-vous dire à nos lecteurs ce que vous êtes devenu ?
Effectivement, depuis 2015, un certain nombre de choses ont changé !
En 2016, après quelques moments de flottement, j’ai été promu Vice-Président, Global Marketing & Operations Global au sein de Microsoft Corporation. Ma mission consistait à accompagner la transformation des activités marketing et opérations des 130 filiales du groupe dans le monde. Sur le papier, cela a l’air d’être une belle opportunité, mais dans la réalité, il y avait de nombreux inconvénients.
Le premier était lié à l’intensité des déplacements : ma famille était en France mais je devais, à raison de 15 jours par mois, me rendre à Seattle (ndlr : là où se situe le siège social de Microsoft). Le décalage horaire rendait le job épuisant. Par ailleurs, j’ai eu une forme de confirmation pratique : moins on est proche des clients et des partenaires, plus le poste a des chances de s’apparenter à ce que l’on qualifie souvent de « bullshit job », quand bien même ce dernier se pare d’un titre prestigieux ou d’une rémunération attractive. Au final, ce genre de poste se situe souvent à un tel niveau d’abstraction organisationnelle qu’il se résume majoritairement à influer sur la politique interne de l’entreprise plutôt que de faire bouger les lignes d’un point de vue business, ce qui ne constitue pas, pour moi, un terrain d’intérêt ou de prédilection.
Je connaissais très bien cette organisation matricielle mais la nature finalement assez factice du poste, ainsi que l’impact physique (9h de décalage aller-retour) m’ont convaincu qu’il était temps d’explorer d’autres horizons. J’ai donc décidé de prendre ma « retraite » du monde Corporate pour explorer d’autres opportunités. A vrai dire, c’était une décision très réfléchie car j’y pensais depuis mon début de carrière : étant étudiant, je n’aspirais pas particulièrement à travailler dans une multinationale. J’y suis tombé au hasard de mes études et de rencontres alors que je me destinais plutôt à une carrière d’historien médiéviste. C’est dire si tout ne s’est pas déroulé comme prévu (rires).
Je n’ai toutefois aucun regret sur ces choix, que ce soit le conseil en stratégie ou ma carrière dans la technologie. Ce sont des expériences qui m’ont permis d’apprendre énormément, tant sur la forme que le fond, en peu de temps, m’ont donné des opportunités très tôt et ont contribué à construire une certaine forme de souveraineté personnelle en facilitant le développement de compétences à valeur ajoutée.
2) Qu’avez-vous fait après Microsoft ?
Après Microsoft, j’ai assez fortuitement rejoint une entreprise du Fortune 500 en tant qu’Executive Vice-Président (EVP) à Genève. Rétrospectivement, c’était une erreur et j’aurais dû suivre mon intuition qui me disait de passer immédiatement à autre chose. Le poste et la mission étaient sur le papier ambitieux et potentiellement passionnants mais l’environnement de l’entreprise et sa culture se sont révélés particulièrement toxiques, notamment en termes de valeurs. J’ai quitté l’entreprise au bout de quelques mois. Cette dernière étape, que j’aurais pu et dû de toute évidence éviter, m’aura toutefois permis de constater que j’avais fait le tour, du moins à mon sens, du monde Corporate et que continuer dans cette voie ne constituerait plus une voie d’apprentissage véritablement stimulante.
Lorsque j’ai quitté le monde Corporate, de nombreux chasseurs de tête m’ont contacté pour des postes de CEO de start-up ou de postes exécutifs dans la Tech et nombreux sont ceux qui m’ont dit que je reviendrais rapidement au bercail… Certains m’ont même expliqué très sérieusement que c’était la crise de la quarantaine (rires).
De mon côté, sans être certain de réussir, j’étais convaincu qu’il était temps de me re-challenger et de me confronter à des environnements différents et moins balisés.
Le 1er janvier 2018, j’ai donc dit adieu au monde Corporate pour m’investir dans d’autres projets qui me tenaient à cœur, notamment l’enseignement supérieur. J’avais également le désir de partager mes retours d’expériences auprès d’entrepreneurs dans la technologie. C’est une activité que je mène de manière sporadique et bénévole.
En parallèle, je mène une activité d’Advisory au travers de Native, mon cabinet de conseil. J’utilise le terme « advisory » et non de « consulting », non par préciosité mais parce que cela se distingue du Conseil dans le sens où je suis avant tout dans une logique d’accompagnement personnalisé avec les entrepreneurs, des cadres dirigeants ou des comités exécutifs de grands groupes. C’est une activité exigeante, dans laquelle expertise pratique et qualités pédagogiques sont essentielles.
3) Vous êtes également professeur à l’école des Mines de Paris et à l’Université Paris Dauphine. Pouvez-vous nous dire vers où s’orientent les étudiants que vous suivez ?
Actuellement, il y a un pourcentage significatif d’étudiants qui souhaitent rejoindre ou fonder une start-up. Indubitablement, l’entreprenariat attire, autant pour de bonnes que de moins bonnes raisons. C’est une évolution fondamentale et un vrai défi pour les grands groupes car il y a 10 ans encore, l’objectif était souvent de faire carrière au sein d’un grand groupe ou dans le monde du conseil ou de la finance.
D’autres aspirent à travailler dans la transition écologique ou dans des entreprises à mission car ils s’inscrivent dans une démarche sincère où le sens guide leurs choix de carrière. D’autres enfin, s’investissent dans des métiers manuels comme l’artisanat, remis au goût du jour autour de logiques digitales et technologiques. Au global, c’est une grande diversité de parcours qui est en train d’émerger et c’est assez enthousiasmant !
4) Quels conseils donneriez-vous aux jeunes souhaitant devenir cadre dirigeant d’un grand groupe ?
Je ne suis pas certain qu’on puisse planifier devenir cadre-dirigeant. Il existe un facteur chance qui rend aléatoire de tels parcours et incite avant tout à beaucoup de modestie. Plutôt que chercher à devenir le n+1 à tout prix, je crois préférable de se concentrer sur l’impact que l’on crée, tant d’un point de vue professionnel qu’humain et tenter d’embarquer l’organisation dans l’aventure dans laquelle vous vous investissez.
Celles et ceux qui attendent trop de leur entreprise risquent d’être déçu-es car à l’heure de la transition énergétique et digitale, les plans de carrière sur 10 ans seront nécessairement très fragiles. Plus que jamais, le développement de ses compétences et de ses connaissances me paraît être l’objectif prioritaire pour se préparer à toute éventualité.
5) Vous parliez à un moment des « bullshit jobs ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Il y a des « bullshit jobs » partout et cela à tous les niveaux hiérarchiques, de Junior à Senior. Il y a des métiers où on passe le plus clair de son temps en réunion, à 10, 15 parfois 25 personnes dans la salle ou dans le call. Tout le monde sait pertinemment que c’est inutile car il n’en ressortira rien de constructif. Pour autant, beaucoup sont prêts à y participer car cela flatte l’égo ou participe d’une culture organisationnelle où la conformité et le respect des processus prime sur la réalité de l’impact. Très souvent, les réunions constituent une alternative pratique au travail : on fait semblant de travailler. Ces métiers peuvent être très bien rémunérés et apporter un certain confort matériel et financier, voire psychologique par leurs aspects finalement assez routiniers, mais la contrepartie est une surdose de reporting, d’inspection et des calls toute la journée…
Je constate de plus en plus des « opt out » de personnes qui in fine aboutissent à un constat similaire à celui qui a pu être le mien : arrive un moment où l’on souhaite se confronter à d’autres défis et savoir si l’on sait encore opérer en dehors de telles organisations.
6) Pourquoi y a-t-il autant de « bullshit jobs » ?
L’anthropologue David Graeber a démontré qu’il existe des « bullshit jobs » dans toutes les industries et organisations, publiques ou privées, petites ou grandes, mais dans l’industrie de la technologie, le risque est démultiplié, du moins en période de croissance. Les entreprises de technologie peuvent en effet être très profitables et s’accommoder d’une certaine forme de facilité… il n’y a donc pas forcément d’incitation à être le plus productif possible. Qui plus est, créer des « bullshit jobs » permet de justifier des stratégies organisationnelles, de confirmer et d’étendre sa position hiérarchique dans certains cas.
7) Pensez-vous qu’il y ait un bon timing pour changer de carrière ?
Très modestement, je doute qu’il y ait un timing parfait. Il me semble qu’il est nécessaire de savoir écouter certains signaux faibles (suis-je passionné par ce que je fais ou pas ? Ai-je réellement une capacité à infléchir la trajectoire de ce sur quoi je travaille ou pas ?) et surtout être suffisamment honnête avec soi-même. Certaines personnes sont très à l’aise avec l’idée de passer 15 ou 20 ans dans la même organisation en changeant de poste tous les 3 ans ; d’autres restent motivées par le fait de battre leur budget annuel, et c’est après tout très légitime. Pour d’autres en revanche, passée la phase d’apprentissage, le retour permanent des mêmes défis deviendra terriblement ennuyeux.
Avant tout, il faut être clair sur ce que l’on est pour savoir ce que l’on veut et surtout ne pas tricher avec ce questionnement. C’est d’ailleurs un processus dans lequel il est pertinent de solliciter ses proches ou sa famille pour éviter de prendre des décisions hâtives ou au contraire, de ne pas retarder trop longtemps le grand saut vers de nouvelles opportunités.
8) Comment vous voyez-vous dans 5-10 ans ?
Il est possible que dans 5 ans, peut-être plus, j’aurai fait le tour de ce que je peux raisonnablement apporter dans mon rôle d’entrepreneur et de professeur. Peut-être que mon activité ne se concentrera plus que sur l’enseignement, voire la recherche. Ou alors, peut-être aurais-je envisagé d’ici là une 3ème étape de ma vie professionnelle. Tout est possible et c’est cela qui est stimulant !
9) Avec du recul, quels conseils donneriez-vous au Nicolas Petit d’il y a 7 ans ?
J’avoue ne pas avoir beaucoup de regrets. Avoir débuté dans le conseil puis avoir eu l’opportunité, grâce à quelques managers qui m’ont fait confiance alors que je n’avais pas de « track record », de prendre des chemins de traverse chez Microsoft m’ont beaucoup appris.
Rétrospectivement, je crois que je serai beaucoup plus exigeant sur la vitesse de la prise de décision. Il y a des choses que je n’aurai pas faites avec du recul. Par exemple, j’aurais peut-être dû plus m’écouter et me faire confiance et partir 18 mois plus tôt dans l’entrepreneuriat.
Ce qui est certain, c’est que j’ai trouvé un équilibre infiniment plus satisfaisant que précédemment, tant d’un point de vue intellectuel que familial. Le seul luxe réel dans un monde qui va toujours plus vite est de disposer aussi souverainement que possible de son temps, quitte à arbitrer en défaveur d’éléments socialement prisés comme la rémunération ou le titre professionnel.
10) Merci pour vos réponses. Je vous laisse le mot de la fin.
Un conseil, peut-être : assurez-vous de ne pas vous perdre de vue. Soyez exigeants et précis sur ce qui est réellement important pour vous. Une carrière doit aujourd’hui être envisagée comme un assemblage unique de briques d’expériences, de compétences, de rencontres et nous sommes les seuls à savoir à quoi nous voulons que cette construction ressemble à la fin 😊.
Inspirez vos ami-es en leur partageant ce parcours :
Laissez-vous inspirer par ...
Edouard, Centralien stagiaire en Suède
Par Edouard
Pierre Gévart, du CAP à l’ENA
Par Pierre Gévart