Damien, étudiant à l’ESCP ancien étudiant en Prépa Eco
Par Damien Concordel-
Publié le : 20/02/2012
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Lecture 8 min
L'important en prépa n'est pas de travailler plus, mais de travailler plus efficacement
1) Bonjour Damien. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs (formation, parcours, types de prépa ?
J’ai eu un parcours plutôt atypique. Tout d’abord, j’ai grandi aux États-Unis, où j’ai fait une école primaire bilingue et un collège public tout ce qu’il y a de plus américain. Par la suite, je suis retourné au système français pour le lycée, au CNED du fait que je voyageais pas mal. Fils de deux ingénieurs, j’ai passé les épreuves du Baccalauréat scientifique (option mathématiques) au Lycée français de San Francisco en 2004. Mon ambition à l’époque était de faire moi aussi ingénieur, en passant par la « voie royale » de la prépa.
En parallèle, on m’a encouragé à regarder les universités et écoles d’ingénieur en Suisse, et à envisager d’autres filières (commerciale notamment, du fait de mes voyages). J’ai donc postulé en Suisse et, dans mes choix de prépa, mis pour moitié des prépas HEC et pour moitié des prépas MPSI. Je me suis retrouvé en prépa MPSI au lycée Masséna de Nice (je pense qu’on pourrait la qualifier de grande prépa de province).
Pendant mon année de maths sup, j’avoue avoir pris mes études un peu à la légère, probablement du fait de l’ajustement dont j’avais besoin (d’un mode nomade à un mode sédentaire et strict). Ce qui fait qu’à la fin de l’année on ne m’a pas laissé passer en maths spé. Par contre, on m’a proposé de faire une prépa HEC au vu de mon niveau d’anglais. Finalement, j’ai donc changé de prépa et je me suis rendu compte que ça me convenait mieux. Les matières littéraires me posaient toujours problème, mais en maths et en langues ça se passait bien.
Après deux ans de plus de prépa commerciale, j’ai passé les concours et intégré l’ESCP-EAP (devenue ESCP Europe en 2009) dans le parcours Londres-Madrid-Paris.
2) Beaucoup d’élèves prennent des cours privés en plus des cours de prépa et des kholles. Ces cours particuliers sont-ils vraiment utiles ?
Je pense que si on prend des cours particuliers, il faut vraiment que ça soit pour les bonnes raisons. Trop d’étudiants prennent des cours particuliers qui leur coûtent cher et ne les aident pas beaucoup. Il faut voir que l’apprentissage en prépa (et dans n’importe quelle autre classe d’ailleurs), c’est plusieurs choses à la fois: d’abord, comprendre les concepts dont on parle (cours). Ensuite, apprendre à s’en servir (application). Enfin, apprendre à bâtir sur ce contenu pour pouvoir ouvrir ses horizons (approfondissement).
Lorsqu’on prend des cours particuliers, il faut être bien clair avec soi-même et avec le prof en question sur quel aspect on veut travailler. Ceux qui font cela pourront effectivement combler leurs lacunes et progresser, tandis que les autres finiront par soigner quelque chose qui n’est pas cassé, au détriment du reste.
3) Auriez-vous khûbbé si vous n’aviez pas eu l’école que vous vouliez ?
Comme je sortais déjà de trois ans de prépa après mes concours, je n’aurais certainement pas voulu faire une quatrième année. C’est d’ailleurs pour mettre toutes les chances de mon côté que j’ai passé les concours de 13 écoles: le top 7 (HEC, ESSEC, ESCP, EML, EDHEC, Audencia et Grenoble) ainsi que les 6 (à l’époque) du concours Ecricome: Rouen, Reims, Nancy, Bordeaux, Toulouse et Marseille. Au final j’étais classé 29e à Toulouse, donc par chance j’étais au moins certain d’intégrer une école.
Si je n’avais été admis nulle part, j’aurais postulé à nouveau pour le master en management de l’Université de Lausanne et peut-être ailleurs aussi.
4) Pourquoi avoir fait le choix de faire une classe préparatoire aux grandes écoles ? Comment avez-vous choisi votre prépa (lieu géographique, niveau, classement …) ?
A l’origine, j’ai fait le choix de la prépa parce que j’étais un peu frustré à la fois par le système d’enseignement à l’américaine et par le niveau des universités publiques françaises. Du coup, l’alternative que me proposaient mes parents (tous deux issus de prépa et de grandes écoles) m’a paru la plus prometteuse. Lorsque j’ai commencé à regarder les possibilités en Suisse j’étais assez séduit, au point d’envoyer des demandes d’inscription à l’Université de Lausanne et l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, mais sans succès.
En termes du choix de prépa, j’avais établi ma liste de préférences en privilégiant d’abord la proximité géographique par rapport à ma famille (Annecy, Lyon, puis Nice et Valbonne, enfin Versailles et Paris). Conscient de venir d’un contexte peu usuel, j’ai préféré diversifier mes options pour être sûr d’en obtenir une. Pour le choix de la filière, je voulais d’abord mettre MPSI avant HEC, puis en y réfléchissant j’ai intercalé les deux dans la liste, en me rendant compte que l’une comme l’autre pourrait me plaire.
Au final, l’essentiel des lycées ont refusé mon profil atypique, mais je pense qu’un professeur du lycée Masséna (qui avait vu passer avant plusieurs membres de ma famille) a dû reconnaître mon nom car j’ai finalement été admis en MPSI à Nice. Ce qui ne m’a pas déplu, d’une part géographiquement (proche de ma famille à Antibes) et d’autre part en termes de climat et de niveau.
5) Il existe tout un mythe autour de la prépa. On dit par exemple que c’est une formation extrêmement difficile où on ne fait que travailler 24h/24 7j/7 sans pouvoir voir ses amis. Est-ce une réalité ? Si oui, comment arrivez-vous à tenir ?
Je l’ai déjà dit, je n’ai jamais fourni tout à fait les efforts que j’aurais dû pendant mes trois ans à Nice. Cependant, même si le rythme de travail est en effet assez intense, on trouvait le temps, au moins une fois par semaine, de se retrouver entre amis dans un bar, sur la plage, autour d’une partie de belote… Cela dit, il ne faut effectivement pas négliger le travail à faire, et c’est vrai que ça nous occupait pas mal.
Pour tenir, outre mon rythme certes un peu détendu, je m’efforçais de faire chaque jour un peu de sport: pendant la pause midi, je traversais le boulevard devant le lycée pour aller à la piscine du quartier faire vingt minutes de longueurs. Je me débrouillais pour être de retour au lycée pour les cours de l’après-midi. Les week-ends, je prenais le samedi pour me détendre (quitte à finir un travail de la veille le matin), pour ensuite me remettre au travail le dimanche quand de toute façon tout était fermé en ville.
6) Combien d’heures travailliez-vous par semaine en classe préparatoire ? Quelle est la charge de travail en prépa ?
Outre les 39/40 heures de cours et khôlles qu’on avait chaque semaine, il nous fallait en général au moins autant chez soi pour bien assimiler ce qu’on apprenait. Donc compter 80-90 heures par semaine. Après, il faut savoir les répartir et travailler de manière efficace. C’est quelque chose qu’on apprend vite, mais il faut savoir aussi maintenir le rythme car sans ça on est perdu.
7) Est-ce vrai que les élèves sont parfois humiliés (notes négatives, remarques désobligeantes de la part des professeurs etc) ?
Cela dépend énormément des professeurs que l’on a. Et même si ça arrive avec certains professeurs, il faut bien comprendre que c’est pour le bien de l’élève et qu’il ne faut pas le prendre mal. Mon professeur de philosophie était particulièrement strict avec nous. Il notait déjà très sévèrement le fond de nos dissertations, mais il enlevait en plus un point par tranche de dix fautes d’orthographe. Il avait aussi tendance à mettre des commentaires un peu extrêmes, parfois osés, sur nos dissertations pour bien nous faire comprendre la faiblesse ou la sensibilité des arguments qu’on avançait ou de comment on les défendait. Moi-même, qui n’avais jamais été bien doué en philosophie, j’ai eu beaucoup de mal avec lui. Cela dit, il disait haut et fort que son objectif était de nous amener à avoir 11/20 à la dissertation d’EML et, partant d’une moyenne de 0.5/20 pendant la première année (avant déduction pour l’orthographe), j’ai réussi à décrocher 11/20 à l’EML.
Ce même prof était assez dur en khôlle, et plus d’une fois il a réduit aux larmes certains de mes camarades. Mais ce n’était qu’une façade pour simuler les entretiens les plus durs auxquels on serait amenés à se confronter, et lorsqu’il poussait quelqu’un jusqu’au point de le faire craquer, il devenait la gentillesse même. Là aussi, ça a fonctionné, des 12 entretiens que j’ai passés je n’en ai eu aucun qui m’ait vraiment inquiété.
De toutes manières, les professeurs sont là pour aider les élèves, pas pour les casser ou les décourager. Ils sont disponibles, ouverts, et toujours prêts à répondre aux questions.
8) Les élèves de prépa s’entraident-ils ou sont-ils en compétition ?
Ça dépend des lycées. On dit souvent que dans les grandes prépas parisiennes, le jeu c’est justement de décourager les « défavorisés » (souvent, ceux qui ne sont pas « de bonne famille ») et d’être en compétition pour les meilleures écoles. J’ai entendu des échos du lycée Sainte-Geneviève de Versailles et de Janson à Paris, et déjà ce n’est plus comme ça. Par contre, on m’a dit que les vraies grandes prépa sont encore très compétitives (Henri IV, Louis le Grand, Stanislas Paris…).
En tout cas, à Masséna, l’esprit était vraiment à l’entraide et la coopération. On se retrouvait souvent, soit au lycée soit en dehors, pour travailler ensemble sur les devoirs, on partageait les conseils qu’on recevait, on révisait ensemble en petits groupes… Par exemple, j’ai passé pas mal de temps à aider certains de mes camarades en maths et en anglais, en échange d’explications et d’aide pour mes dissertations d’histoire ou de philo. Quand on voulait changer d’air, on se posait à la bibliothèque municipale, ou on trouvait un coin au soleil devant le théâtre ou dans le Vieux Nice, ou encore on se retrouvait ensemble chez quelqu’un pour dîner et travailler.
Enfin, pendant les révisions finales pour les concours, un ami m’a invité à loger chez sa famille pendant un mois pour qu’on puisse travailler ensemble de manière plus efficace. On était complémentaire, donc chacun aidait l’autre là où il en avait besoin, et on avait le même planning donc on faisait également nos pauses ensemble autour d’un jeu vidéo, d’une piscine, d’un footing…
9) On entend souvent qu’on met sa vie en pause pendant 2 ans (voire 3) en prépa puis on renaît en école de commerce / ingénieur. Qu’en pensez-vous ? Est-ce vrai ?
C’est malheureusement souvent vrai, mais plus par pression extérieure qu’autre chose. Je pense qu’il est important de savoir prendre un peu de temps pour respirer et se changer les idées. Ceux qui s’y mettent vraiment à fond et ne prennent pas ce temps finissent en burn-out et, en général, renoncent à la fin de la première année.
Par ailleurs, l’important en prépa n’est pas de travailler plus, mais de travailler plus efficacement. C’est bien gentil de passer tout son temps à bosser, mais si c’est pour relire quinze fois la même page de notes, ça ne sert pas à grand chose. On peut réussir bien mieux en trouvant un mode de fonctionnement plus productif et donc qui permet un peu (même si ce n’est qu’un peu) de loisirs. Je n’entrerai pas en détail sur ce sujet, parce que les méthodes de travail efficaces dépendent radicalement de la personne, et c’est à chacun de trouver son mode adéquat.
Après, quelle qu’ait été l’expérience en prépa, c’est vrai qu’une fois en école c’est un net soulagement. Mais il ne faut pas pour autant se dire que ça y est, c’est fini, on peut buller, car les exigences en école peuvent être importantes aussi, surtout avec la réforme des programmes qui fait que la première année d’école remplace un Bachelor entier en université, histoire de favoriser l’entrée directe en Master des étudiants en programme d’échange.
10) Quel est votre meilleur et votre pire souvenir en prépa ?
Mes meilleurs souvenirs en prépa? Les quelques bizutages (bon enfant et amusants, je tiens à préciser) traditionnels: La déclaration d’amour à la prof d’histoire, le petit déjeuner servi aux 2e année en plein cours de maths par les filles de 1e année en pyjama, le banquet organisé pour toute la promo HEC du lycée chaque année, avec les élèves et les profs, les révisions finales juste avant les épreuves, les soirées en boîte avant chaque période de vacances…
Mes pires souvenirs: la galère que c’était en philo pendant la première année, les écrits (j’ai plutôt bien aimé les oraux), les concours blancs
11) Avez-vous des conseils à donner aux étudiants pour réussir la classe préparatoire aux grandes écoles ?
La chose la plus importante en prépa est de ne pas perdre le fil. Si on perd le rythme, si un jour on a du mal à suivre, c’est vraiment très difficile à rattraper avec tout le reste du boulot à faire. Il faut vraiment trouver un mode de fonctionnement, un processus, qui soit raisonnable et qui permette à chaque fois de bien assimiler le contenu du jour. Évidemment, ça implique une assiduité.
L’autre conseil important que je donnerais, c’est surtout de compter sur les professeurs. Ils sont là pour aider, pour conseiller, pour répondre aux questions. Profitez du feedback des khôlles pour poser les questions qui vous tracassent. Ils vous donneront sûrement leur adresse mail, n’hésitez pas à leur écrire, ils répondront. Et surtout : ne vous laissez pas abattre par leur sévérité. Ils font ça pour mettre les élèves en situation et les préparer au pire.
12) Que diriez-vous à un jeune lycéen désireux de faire une classe préparatoire ?
C’est avant tout une question de motivation et de sérieux. Si vous êtes sûrs de pouvoir vous motiver comme il faut et de travailler sérieusement, tentez-là ! Sinon, il y a d’autres pistes pour intégrer les grandes écoles sans passer par la prépa. Par ailleurs, avec les inscriptions complémentaires proposées dans plein d’universités, vous n’aurez pas besoin de repartir de zéro en cas d’échec, car celles-ci permettent de valider des années de prépa comme des années d’université.
13) Merci pour vos réponses. Je vous laisse le mot de la fin.
On dit beaucoup de mal de la prépa, elle fait peur, elle inquiète, elle semble élitiste, elle va à l’encontre de certaines politiques en France, mais dans ce monde de plus en plus mondialisé et face à une concurrence de plus en plus rude, je pense qu’il faut plus de talent, donc plus de grandes écoles et plus de prépas. Il est très important pour un pays développé aujourd’hui de disposer d’un vivier conséquent, s’il veut tirer son épingle du jeu.
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