Helène, serial entrepreneuse au Luxembourg
Par Hélène Michel-
Publié le : 24/12/2013
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Lecture 8 min
Dès qu’on a une idée, il faut toujours, et j’insiste sur le toujours, se lancer et ne pas lâcher prise : il faut y croire et se battre pour son idée.
1)Bonjour Hélène. Pourriez-vous vous présenter ?
Bonjour. Après un baccalauréat économique et social, j’ai fait un BTS Commerce International. A l’époque, je voulais vite arrêter les études et avoir un diplôme clé en main en 2 ans. Mais les matières que j’ai étudiées en cours m’ont énormément plues c’est pourquoi j’ai décidé de continuer et de faire une école de commerce. J’ai passé le concours puis j’ai intégré ICN Business School.
A l’époque, elle était classée 9ème de France, c’était une très bonne école. Depuis, elle s’est un peu dégradée dans le classement. J’avais également été admise à Reims mais puisque c’était ma ville d’origine, je voulais voir autre chose.
2) Quels stages avez-vous fait durant votre scolarité à ICN Business School ?
Pendant mon année de césure (au passage, un conseil à tous les étudiants en école de commerce : il est primordial d’effectuer une année de césure !), j’ai d’abord travaillé 6 mois chez EADS puis 6 autres mois dans une plus petite structure qui s’occupait de la ré-industrialisation de sites. Ma mission consistait à mettre en place des plans de ré-industrialisation pour les entreprises qui délocalisaient leurs activités. Il fallait donc trouver des entreprises étrangères qui intéressées pour reprendre le site ainsi que les salariés et leur savoir-faire. On travaillait avec de grandes sociétés (SEB, EADS entre autres).
Durant ce stage, j’ai vite compris qu’il y avait d’un côté le patronat et de l’autre, les salariés. Les patrons ne discutent que de chiffres : s’ils ne font pas assez de bénéfices en France, ils déménagent le tout dans un autre pays où on peut gagner plus. Et dans ce cas-là, le chef d’entreprise doit licencier. La plupart du temps, il ne garde que les jeunes et licencie tous ceux qui ont dépassé 50 ans alors que ce sont justement ces personnes qui auront le plus de mal à retrouver un emploi par la suite…
3) Qu’avez-vous fait après votre année de césure ? Quel a été votre premier emploi ?
A la fin de ma césure, j’ai fait un double master à ICN, l’un en Entrepreneuriat et l’autre en Gestion de Projet. Une fois diplômée, j’ai choisi de faire un VIE (Volontariat International en Entreprise) aux Etats-Unis à Philadelphie. On peut faire un VIE jusqu’à 28 ans, il faut trouver un sponsor en France pour une période de 12 à 24 mois. On est payé comme un cadre mais on est considéré comme un stagiaire donc on apprend énormément. Concernant le salaire, il varie en fonction du pouvoir d’achat local. Pour ma part, je touchais 3 000€ net.
Le but de mon VIE était d’aider les porteurs de projets américains à investir en France et vice versa. J’ai ainsi pu travailler au développement de nombreuses entreprises comme par exemple Numaxes, une entreprise française qui fabrique des colliers électroniques pour chiens. Il fallait tout faire : le rebranding, la stratégie marketing, la traduction de la documentation en anglais, adapter le produit aux normes du marché américain…
Entre temps, j’ai rencontré mon conjoint qui est avocat. Il voulait qu’on rentre en France mais c’était pour moi hors de question. Si la France est un beau pays, j’ai quand même un peu de mal avec la notion d’assistanat, notion propre à la France. Il y a trop de gens qui profitent du système contrairement aux Etats-Unis. Ce sont vraiment deux mentalités différentes et aujourd’hui je rejette en bloc le système français.
En France, les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas poussés à la créativité. En Europe globalement, on a le complexe de l’échec. Si on échoue une fois, on est presque catalogué à vie comme un « looser ».
Aux Etats-Unis, c’est différent. On cultive et on valorise l’entrepreneuriat. On se dit : même si son projet n’a pas été un grand succès, il a quand même réussi parce qu’il a essayé. L’échec n’est pas perçu de la même manière outre-Atlantique.
A cela s’ajoute la misogynie qui est fréquente en Europe. De plus, aux Etats-Unis, quand on ne vous connait pas, vous partez avec un total de 20 points. Si vous faites des erreurs, vous en perdez. En Europe, on part de 0 et on doit faire ses preuves pour gagner des points. Ce sont deux approches très différentes.
Avec mon conjoint, on a donc décidé de s’installer au Luxembourg. On y est arrivé le 11 septembre 2006 et j’ai commencé par travailler à la Commission Européenne où j’étais chargée des programmes de Recherche & Développement (R&D).
4) Aviez-vous postulé depuis les Etats-Unis pour trouver votre poste au Luxembourg ?
Oui. J’ai postulé depuis les Etats-Unis. L’offre d’emploi spécifiait qu’il fallait être ingénieur avec de bonnes connaissances en informatique… ce qui ne correspondait pas vraiment à mon profil. En plus, je ne parlais pas le luxembourgeois : en clair, je ne correspondais pas vraiment à l’annonce. Pourtant, j’ai postulé et les Ressources Humaines m’ont contacté. Les recruteurs m’avaient même payé le billet d’avion. C’est donc qu’il y avait quelque chose dans mon CV qui leur plaisait. J’ai expliqué pendant l’entretien que les connaissances en informatique étaient secondaires et que ce qui comptait, c’était de pouvoir faire preuve de diplomatie et être bon communicant.
Mon école de commerce m’a appris à apprendre. Mais sur le terrain, le mieux, c’est d’apprendre par le « Learning by doing ». Ca a très bien marché : j’ai fait le tour de l’Europe et j’ai pu travailler sur des missions passionnantes.
Il faut savoir que dans une entreprise publique, on négocie les budgets en début d’année puis le but est de tout dépenser avant la fin de l’année. Au bout de 2 ans et demi, j’ai décidé de changer de poste car je voulais pouvoir créer le chiffre d’affaires et avoir plus d’objectifs à atteindre.
Forte de mon réseau, j’ai monté ma propre société, Private Consulting où j’y faisais du business development. J’aidais les PME à répondre à leurs besoins à court et moyen termes : comment augmenter leur chiffre d’affaires, comment attirer de nouveaux clients… Pour chaque projet, il faut savoir rassembler les bonnes compétences et les bonnes personnes.
Une fois, un client m’a dit : je voudrais implanter mon entreprise sur le marché français. Problème, il ne disposait d’aucun plan de communication et il n’avait pas de site internet. Je lui ai donc suggéré d’en créer un, afin qu’il puisse gagner en visibilité. Il devait d’abord se créer un outil de communication efficace. J’ai ensuite géré la création de produits (packaging, canaux de distribution, etc).
J’ai eu également beaucoup d’autres clients dans différents secteurs : parapharmacie, restaurant… Et puis un jour, Gary Kneip (quelqu’un de très influent et très connu au Luxembourg) m’a contacté pour que je l’aide concernant le déploiement de son Data Center aux Etats-Unis. Néanmoins, il faut savoir qu’il est extrêmement difficile de vendre l’Europe aux Etats-Unis. L’Europe fait peur car outre-Atlantique, on est perçu comme des individus ayant une mentalité de « wait and see ». J’ai donc décidé de changer le Business Model du projet et plutôt que de chercher les clients, on a créé un programme à but non lucratif : Europe4StartUps, un projet très attirant.
En une année, j’ai créé des partenariats avec de grandes entreprises internationales (Hewlett Packard, Ernst&Young, Microsoft…) et je leur ai proposé un « deal ». On part sur un partenariat gagnant-gagnant : vous (les sociétés informatiques) offrez des services gratuits et sans engagement à une start-up que nous vous avons sélectionnée. Vos services doivent lui permettre de se développer rapidement et facilement. De notre côté, nous vous apportons des prospects et c’est ensuite libre à vous d’établir une relation commerciale avec la start-up pour lui vendre, à termes, vos services. Plus vous aidez la start-up, plus elle va pouvoir se développer, plus vous pourrez ensuite lui vendre vos services.
Europe4StartUps propose à chaque entreprise sélectionnée une enveloppe d’une valeur de $100,000 pour booster ses activités.
Je suis très contente car j’ai été récompensée récemment par un prix, le «Outstanding Contribution to Luxembourg ICT ». En m’inscrivant au concours, on m’a dit que je n’avais aucune chance face aux autres concurrents, tous des mastodontes de leur secteur d’activité. Nous n’étions qu’une équipe de 5 personnes après tout… Et pourtant !
J’ai toujours fait les choses que je ne savais pas faire. J’ai appris avec le « Learning by doing ». Il faut viser haut et toujours oser. Comme le disait Oscar Wilde : « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »
5) Combien de postes avez-vous en même temps ? Comment faites-vous pour trouver le temps de tout faire ?
J’ai plusieurs casquettes : je suis Directrice de Private Consulting, et Présidente de l’Association Europe4StartUps, qu’on va faire financer par la Commission Européenne. Je veux faire de ce projet un vrai accélérateur pour start-up. J’ai commencé à parler à un grand fonds d’investissement. Enfin, je travaille avec Gary Kneip où je suis directrice marketing du groupe DATA4.
Pour ce qui est du temps, tout est une question d’organisation et de gestion. Il faut aussi savoir déléguer car plus on monte, plus on doit s’entourer. A un moment, plus on fait, moins on fait bien. Il faut donc garder du capital pour les Ressources Humaines.
Je suis également jeune maman de deux enfants, l’un de 4 ans et l’autre de 16 mois. Je passe ma vie au téléphone et sur Skype. On me demande souvent si je n’en ai pas marre de travailler mais à partir du moment où on aime son métier, ça devient un hobby et on s’éclate. Jamais au travail je ne ferai du présentéisme.
Par contre, quand je suis avec mes enfants, je coupe mon téléphone.
6) Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux jeunes diplômés pour trouver un emploi ?
Il faut sortir des cases, regarder en dehors du cadre, ne pas hésiter à postuler même à des postes auxquels on ne pense pas correspondre et le mettre en avant (tout en le justifiant bien !). C’est ce que j’ai fait pour mon premier emploi au Luxembourg. On me disait qu’il me manquait l’essentiel (les connaissances en informatique) et pourtant, j’ai été embauchée. De nos jours, tout le monde se ressemble. Il faut avoir un minimum de créativité et oser se lancer pour se distinguer. Travailler dans des petites structures permet de monter plus vite en compétences car on peut toucher à tout.
7) Pourquoi avoir choisi de travailler au Luxembourg ?
Le Luxembourg est attractif pour monter son entreprise. C’est un tout petit pays et si on rentre dans le bon réseau, on finira par vite connaître tout le monde. A Paris, il y a trop de concurrence, on est noyé dans la masse, idem pour Londres et Berlin.
Au Luxembourg, c’est différent. C’est certes une place financière à la base mais le pays cherche de plus en plus à se sortir du carcan de la finance. On observe à ce titre une réelle diversification avec de plus en plus d’entreprises dans le digital, dans le gaming etc. Le pays crée un nouvel écosystème où tout est à construire.
8) Le Luxembourg est-il la prochaine Silicon Valley ? Y fait-il bon vivre ?
J’y travaille mais pas toute seule bien évidemment. Le Luxembourg est un pays où le pouvoir d’achat est beaucoup plus élevé qu’à Paris. Même si tout est cher, la qualité de vie y est meilleure. Au début, on peut un peu s’ennuyer, c’est vrai. Mais au bout du compte, on peut décompresser en partant en week-end à travers toute l’Europe. De plus, c’est un pays parfait pour les entrepreneurs.
9) Y a-t-il des synergies entre vos différentes activités ?
Oui. Les synergies sont toujours visibles. Pour Europe4StartUps, on est fondé sur un système gagnant-gagnant où l’on fournit aux start-up un moyen de se développer rapidement et gratuitement. Néanmoins, on ne s’occupe que d’entreprises du digital. Pour DATA4, on héberge des grands noms comme Skype, HP ou encore IBM où notre objectif est de garder le client. Concernant Private Consulting, notre activité s’étend à tous les types de sociétés (artisans, petits magasins, services, etc). Au final, ce que j’apprends dans une activité, je l’utilise dans l’autre. Je mets également beaucoup de gens en relation.
10) Quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour créer leur entreprise ? Pensez-vous qu’il faille avoir « l’idée du siècle » ?
L’idée du siècle, tout le monde pense l’avoir. Chez Private Consulting, on a décidé de faire gratuitement les études de faisabilité pour le client. On met également en place un questionnaire psychologique qui vise à déterminer si notre interlocuteur est un bon entrepreneur. Certaines personnes ont besoin d’avoir un suivi, un patron pour les guider. Etre entrepreneur est très difficile car le matin, il faut se motiver à travailler de manière autonome et indépendante. Il faut donc avoir une force de caractère et un esprit d’initiative. Il faut également échanger avec les autres tout en protégeant son idée. De plus, il faut savoir se faire l’avocat du diable pour tester la viabilité de son projet.
Un autre conseil : il faut TOUJOURS écrire son projet et bien le mettre à plat. Si c’est un peu trop long, il faut au moins rédiger l’Executive Summary. Il y a plein d’exemples de business models à disposition gratuitement sur Internet, inspirez-vous en. Dès qu’on a une idée, il faut toujours, et j’insiste sur le toujours, se lancer et ne pas lâcher prise : il faut y croire et se battre pour son idée.
11) Merci pour votre témoignage. Je vous laisse le mot de la fin.
Il est nécessaire d’avoir des gens comme vous, qui rassemble les gens, les idées. On est en train d’évoluer de plus en plus dans le monde des big data où beaucoup d’informations circulent. De fait, il est important de trier cette information. Les témoignages de professionnels peuvent rendre service à d’autres personnes en les aidant à fonder leur propre histoire. Pour ma part, je n’aurais jamais cru arriver là où j’en suis actuellement. Tout s’est fait d’opportunités en opportunités, j’ai toujours foncé, j’ai toujours tenté. Au final, qu’est-ce qu’on a à perdre ? La vie est courte, il faut diversifier ses expériences ! Le ridicule ne tue pas et tant qu’on ne met pas en jeu sa santé, il faut savoir oser.
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