François Bourguignon, ancien Vice-Président à la Banque Mondiale
Par François Bourguignon-
Publié le : 09/12/2014
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1) Bonjour Monsieur Bourguignon. Pourriez-vous vous présenter ?
Bonjour. Je m’appelle François Bourguignon. J’ai été formé en tant que statisticien à l’ENSAE (École Nationale de la Statistique et de l’Administration) à la suite de quoi j’ai fait un Ph.D (ndlr : équivalent à un diplôme de doctorat dans le système anglo-saxon) en économie au Canada. J’ai ensuite terminé mon cursus en faisant un autre doctorat d’économie à l’université d’Orléans.
Durant ma carrière, j’ai été enseignant au Canada, chercheur au CNRS puis dans les années 80, j’ai été élu directeur d’études à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). Mes travaux ont porté essentiellement sur la mesure de l’inégalité et la pauvreté, le développement économique et la distribution des revenus. Cela m’a conduit a travaillé à la Banque Mondiale où j’ai été Vice-Président.
2) Est-ce fréquent, pour les étudiants français, de faire une thèse au Canada et plus généralement à l’étranger ?
Dans les années 1970, non ce n’était guère fréquent. A la base, j’ai un peu postulé au hasard en envoyant ma candidature à un programme de Ph.D aux Etats-Unis. J’y ai été accepté mais pour des raisons pécuniaires, je n’ai pu m’y rendre. Le coût de la vie aux Etats-Unis est très élevé surtout quand on a un enfant. Je suis ensuite tombé par hasard sur le doyen d’une Université au Canada qui m’a proposé une bourse que j’ai acceptée.
De nos jours, c’est plus fréquent que des étudiants aillent faire leur thèse aux Etats-Unis. Cela s’explique pour deux raisons : il y a plus d’opportunités pour eux là-bas et les salaires y sont beaucoup plus élevés. Actuellement, il y a aussi un bon groupe de Français qui enseigne aux Etats-Unis.
3) Peut-on parler d’une fuite de cerveaux ?
Oui tout à fait. Il faut savoir que, selon le FMI (Fonds Monétaire International), parmi les 25 jeunes (moins de 45 ans) économistes de talents enseignant aux Etats-Unis, 8 sont français. C’est considérable.
La Médaille Clark (la médaille la plus prestigieuse après le prix Nobel d’économie) a récompensé sur les 5 dernières années 2 Français, Emmanuel Saez et Esther Duflo.
4) Cette fuite de cerveaux est-elle justifiée ? Si oui, est-ce plutôt un rejet de la France ou un attrait pour les Etats-Unis ?
Je dirais que c’est plutôt un attrait pour les Etats-Unis. Le système américain offre un cadre exceptionnel à la recherche : en plus d’une rémunération élevée et de moyens importants de recherche, il y a un contact étroit entre chercheurs, ce qui crée une réelle émulation intellectuelle. Par ailleurs, le métier de chercheur est plus valorisé aux Etats-Unis qu’en France. Même si les écoles d’économie de Paris et de Toulouse sont classées dans les dix meilleurs départements d’économie dans le monde par REPEC (Research Papers in Economics), elles disposent de moins de moyens. Les crédits liés à la recherche en France ne cessent de diminuer. Dans ces conditions, peu de Français expatriés aux Etats-Unis sont enclins à revenir en France.
5) Pourquoi avoir choisi, après votre Ph.D au Canada, de faire un doctorat à l’université d’Orléans ?
Après ma thèse au Canada, j’ai enseigné à l’Université de Toronto. Dans le système universitaire Nord-américain, au bout de 3 ou 4 ans, si les publications sont bonnes, on peut obtenir la « tenure », c’est-à-dire un poste à vie. Si je l’avais accepté, je ne serais jamais revenu en France. J’ai donc demandé une année sabbatique pour retourner au pays afin de voir un peu les possibilités qui s’offraient à moi.
A l’époque, un doctorat obtenu à l’étranger était peu reconnu, et peu importait le nombre de publications. Si je voulais intégrer le Corps des Professeurs des Universités, je devais faire une thèse en France. C’est donc ce que j’ai fait en même temps que j’étais embauché au CNRS.
6) Beaucoup d’anciens diplômés de l’ENSAE vont travailler à l’INSEE. Pourquoi ne pas avoir fait ce choix ?
Il y a, à l’ENSAE, deux types d’étudiants : ceux qui viennent des classes préparatoires et ceux qui viennent de l’X (ndlr : surnom donné à l’école Polytechnique). Les Polytechniciens choisissent l’ENSAE en tant que Corps d’application et sont appelés à devenir Administrateur de l’INSEE.
Pour ma part, j’avais intégré l’ENSAE après deux ans de classes préparatoires. Je n’avais donc pas pour vocation d’intégrer l’INSEE.
7) Vous avez travaillé dans les plus grandes instances internationales : ONU, OCDE, Commission Européenne, Banque Mondiale… Pourquoi avoir fait ce choix ?
Quand on est chercheur en économie, il y a deux possibilités : soit on fait de l’économie fondamentale (théorie), soit on fait de l’économie appliquée (politiques économiques).
Pendant ma carrière, j’ai plutôt alterné entre les deux. Néanmoins, j’ai tout de même beaucoup travaillé dans des instances nationales et internationales où l’on peut prendre part aux décisions et donc, influencer les gouvernements. Par exemple, j’ai travaillé au CAE (Conseil d’Analyse Economique créé par Lionel Jospin) où j’ai pu apporter des recommandations concrètes au gouvernement français, mais aussi dans nombre de pays en développement.
8) Au vu de vos expériences, n’avez-vous jamais voulu vous lancer en politique ?
Non car c’est un autre job. Par ailleurs, il faut un talent particulier pour le faire, ne serait-ce qu’une excellente élocution afin de pouvoir convaincre les foules. Qui plus est, travailler en politique sous-entend que l’on accorde moins de temps à la réflexion, chose que je ne voulais pas. Il faut savoir que pratiquement, une fois lancé en politique, la carrière de chercheur est terminée.
9) Est-ce pour cela qu’il y a très peu voire quasiment pas d’économiste en politique ?
Je ne connais pas beaucoup d’économistes académiques, très visibles dans la communauté des chercheurs qui se soient lancés en politique à part Raymond Barre. C’est clairement une exception.
Beaucoup de politiques viennent souvent de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration), or en sortant de cette école, on ne peut pas vraiment dire qu’on soit économiste. Les politiques se recrutent rarement chez les chercheurs ce qui est dommage.
Une anecdote pour illustrer cela : quand j’ai été nommé Vice-Président à la Banque Mondiale, beaucoup de gens dans la haute sphère financière étaient stupéfaits que je ne vienne pas de l’ENA ou de l’X. J’apparaissais un peu comme une sorte de canard boiteux.
10) Les académiques gagneraient-ils donc à faire de la politique ?
Les académiques ne sont pas forcément conscients de la difficulté du politique. L’investissement de temps, d’énergie, de capital social et politique pour faire passer une réforme est considérable. Une décision politique n’est jamais gratuite car elle suppose de convaincre un certain nombre de personnes. Pour y parvenir, le politique doit fournir des arguments forts et souvent des gages.
Les académiques et les politiques ne s’opposent pas, ils se complètent.
11) Comment intègre-t-on une grande instance internationale ?
Pour être fonctionnaire permanent à l’ONU et à la Commission Européenne, on rentre soit sur concours soit parce qu’on a acquis au cours de sa carrière une certaine renommée internationale et qu’on a fait ses preuves. La moyenne d’âge des nouveaux arrivants tourne aux alentours de 30 ans. Une information importante à connaître est qu’il y a un quota de nationalités.
A la Banque Mondiale, on peut rentrer en tant que consultant et y travailler en CDD pendant 1 ou 2 ans. A noter que le CDD peut être renouvelé. Comme pour l’ONU et la Commission Européenne, on peut également entrer si on a déjà fait ses preuves et qu’on peut justifier d’une expertise dans un domaine précis. Je suis rentré à la Banque Mondiale en tant qu’expert.
12) Quels sont les critères de sélection pour rentrer à la Banque Mondiale ?
La Banque Mondiale recrute au niveau mondial un personnel extrêmement qualifié. Parmi les critères utilisés, on peut citer :
– l’anglais qui est vital. Si on parle d’autres langues, c’est également bien apprécié.
– Un cursus universitaire de haut niveau et une grande agilité intellectuelle alliée à une bonne dose de pragmatisme.
– Des expériences intéressantes telles que des stages dans des pays étrangers, dans des ONG …
– Enfin, une personnalité ouverte au monde et qui cherche à apporter des solutions. Cela sous-entend un intérêt pour l’actualité et les problèmes auxquels les pays sont confrontés. Les expériences de création d’entreprise sont également un plus.
13) Pourriez-vous donner des exemples de missions sur lesquelles vous avez pu travailler ?
J’ai par exemple travaillé en Egypte où je me suis penché sur le problème des subventions que le gouvernement allouait aux produits alimentaires de base. L’Egypte consacre 2 à 3% de son PIB pour financer des produits alimentaires.
Autre mission en Indonésie : j’ai travaillé sur les subventions que le gouvernement allouait cette fois-ci aux produits pétroliers.
Dans ces deux missions, je devais convaincre les gouvernements qu’une réforme était nécessaire pour mieux cibler les plus démunis. Mais j’ai aussi travaillé sur la reconstruction du Liban, la redistribution au Mexique ou la protection douanière au Bangladesh.
14) Combien de temps durent ces missions ?
Cela dépend. Par exemple en Indonésie, j’y suis resté un mois le temps de récolter des données que j’ai ensuite pu analyser depuis la Banque Mondiale.
15) Êtes-vous un peu entré par hasard à la Banque Mondiale ou cela s’inscrivait-il dans un plan de carrière bien défini ?
Je ne suis pas rentré par hasard à la Banque Mondiale. J’y avais déjà travaillé auparavant comme consultant. Néanmoins, cela ne s’inscrivait pas du tout dans un plan de carrière.
16) Vous avez été directeur de l’Ecole d’Economie de Paris. Pourriez-vous la présenter ?
L’Ecole d’Economie de Paris est récente et a eu pour but de fédérer des centres de recherche en économie de façon à obtenir une visibilité internationale. Ce n’était pas facile car il fallait réunir des gens et imposer une culture commune.
Un autre objectif était de ramener des économistes français installés à l’étranger en France. Jusqu’à maintenant, cet objectif n’a été que partiellement atteint.
L’Ecole enseigne au niveau Master et Doctorat. Tous les cours sont en anglais et il y a environ un tiers des étudiants qui sont étrangers.
17) Quels sont les critères d’admission pour entrer à l’Ecole d’Economie de Paris ?
Lors des dossiers de candidature, on regarde l’excellence académique des étudiants, on demande des lettres de recommandation et il y a un entretien avec l’étudiant où l’on cherche à connaître ses motivations et, en quelque sorte, à savoir ce qu’il a dans le ventre.
18) Combien coûte l’inscription à l’Ecole d’Economie de Paris ?
L’inscription est quasi gratuite : 200 à 300 euros par an comme à l’université.
19) Quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour entrer et réussir leur carrière dans une instance internationale ?
Il faut être travailleur car on travaille beaucoup dans ces instances. Ensuite, il faut être curieux du monde et s’intéresser aux problèmes des pays. Enfin, il ne faut pas avoir de plan de carrière prédéfini.
20) Quels conseils donneriez-vous aux chômeurs ?
Déjà, les persuader que le chômage ne dépend pas que d’eux. Beaucoup sont contraints au chômage car il n’y a pas de postes disponibles du fait de la rigidité des salaires et leur compétence n’est pas en jeu.
Ensuite, je conseille aux chômeurs d’accepter un poste même s’il ne leur convient pas tout à fait afin de ne pas rester oisif sur une trop longue période. Un chômeur de longue durée n’a pas la même productivité que celui qui a travaillé auparavant.
21) Merci pour cette interview. Je vous laisse le mot de la fin.
Une belle carrière professionnelle est source d’une grande satisfaction personnelle même si la vie affective et familiale est également très importante. J’envie les nouveaux diplômés à qui beaucoup d’opportunités s’ouvrent à eux, même si elles ne sont pas toujours faciles à déceler. Il y a tant de choses possibles. Bonne chance à eux tous !
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