Devenir Ethnologue
Par Sandrine-
Publié le : 20/05/2017
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Lecture 3 min
" Ethnologue est un métier peu connu, perçu très exotique, trop souvent associé à l'universitaire chercheur peu opérationnel "
1) Bonjour Sandrine. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai commencé des études en sciences économiques jusqu’à la maîtrise, puis j’ai voyagé. Aux Etats-Unis, en Centrafrique avec une ONG, puis en Australie où j’ai exercé différents métiers, comme travailler dans des fermes, dans des usines, dans des hôtels. Je travaillais et je voyageais. Ces expériences m’ont donné envie de changer d’orientation car comprendre la culture et l’organisation sociale m’a paru être un préalable indispensable à toute action économique. Je suis rentrée en France, j’ai fait une maîtrise, un DEA, puis un doctorat en ethnologie à Paris Nanterre sur les éleveurs nomades du Rajasthan en Inde. J’ai choisi ce pays car il me fascinait. Le choix du terrain de recherche est toujours très personnel et pas toujours très raisonné. Il faut choisir un terrain qui nous plaît car le chemin est long et les débouchés pas assurés.
2) En quoi consiste précisément votre métier ?
Je suis chercheuse affiliée à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), je travaille principalement dans le privé. En parallèle, je donne régulièrement des conférences et je travaille sur mes projets de recherches. Donc beaucoup de temps en bibliothèque. N’étant pas statutaire, c’est-à-dire avec un statut de fonctionnaire, je réponds à différents projets de recherche, notamment européens. Parce que les postes au CNRS ou à la fac sont très peu nombreux, il faut trouver différents moyens pour s’adapter au marché du travail et trouver des financements.
3) Pourquoi et quand avez-vous choisi ce métier ?
Parce que j’aimais voyager, poser des questions, comprendre d’autres manières de vivre, de penser. La différence culturelle me fascinait. La culture semble une barrière infranchissable. Même quand on s’adapte, on a toujours le sentiment que quelque chose nous échappe, nous dépasse.
4) Quelles sont les qualités requises pour exercer votre métier ?
Il faut être patient, curieux, à l’écoute, ne pas juger l’autre, ne pas lui imposer nos valeurs qui sont finalement très relatives et pas du tout universelles. Il faut se poser beaucoup de questions et arriver à se distancer de soi. Il faut accepter de quitter ses habitudes. C’est-à-dire de tous ces réflexes qui nous semblent très naturels, mais qui en fait ne le sont pas tout. Tout relève de la transmission. C’est un effort énorme : accepter la différence de l’autre avec ses valeurs, qui sont souvent en contradiction avec ce que l’on a appris. Ce que l’on croit juste, n’est pas forcement juste dans une autre culture. Accepter d’autres croyances, ce n’est pas les adopter, c’est juste accepter que notre vision du monde n’est pas la seule, pas la meilleure, ni d’ailleurs pas la plus mauvaise. Etre ethnologue, c’est s’intégrer à des contextes sociaux, qu’ils nous plaisent ou pas. Le principe c’est s’immerger dans le quotidien. Cela prend du temps. Il faut créer un réseau et instaurer un climat de confiance. Ce n’est pas passer par des questionnaires. Mais être là, observer, discuter, voir comment se passent les relations dans leur contexte. Idéalement, il faut partager la vie de tous les jours.
5) Quelles sont les difficultés du métier ?
Comme pour la sociologie, la psychologie, et toutes les sciences sociales en général, l’emploi reste le plus difficile. Ethnologue est un métier peu connu, perçu très exotique, trop souvent associé à l’universitaire chercheur peu opérationnel et déconnecté des exigences du monde du travail. Il y a encore trop de séparation entre le monde de la recherche et le monde du privé. L’autre difficulté, c’est de ne pas posséder les capacités de décentrement de soi- même, que je l’ai évoqué plus tôt. La difficulté c’est éprouver un rejet face à des cultures qui ont des valeurs et des pratiques en totale contradiction avec les nôtres.
6) Y a-t-il des perspectives d’évolution de votre métier ?
Les passerelles entre l’université et le privé existent aux États-Unis et en Angleterre. Donc on peut imaginer que cela se développera aussi.
7) Ce métier permet-il un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée ?
Je ne vois que la contrainte du terrain, c’est-à-dire partir à l’étranger. Il faut partir régulièrement plusieurs semaines voire plusieurs mois, donc cela peut être contraignant avec un compagnon et des enfants.
8) Votre métier est-il un métier d’avenir ? Pensez-vous qu’il recrutera beaucoup dans les prochaines années ?
Je pense qu’ethnologue est un métier très important : on est dans un monde qui se globalise et traverse des conflits culturels importants, donc comprendre la différence de l’autre est extrêmement important. La culture n’est pas juste une curiosité intellectuelle ou un attrait folklorique, c’est au centre des valeurs de tolérance et des enjeux de paix. Est-ce qu’une société, qui désire la croissance économique, a envie d’une croissance plus humaniste ? Je pense que oui. Il y a encore 10 ans, les ethnologues n’étaient peu voire pas du tout employés dans le privé. Aujourd’hui cela a changé. Avec les pays émergents, on se rend bien compte que si on ne tient pas compte de la culture, on va droit dans le mur.
9) Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent devenir ethnologues ?
Ethnologue est un métier passion, de vocation, qui offre peu de débouchés. Il ne faut pas s’orienter vers cela pour gagner de l’argent. Mais ethnologue est un métier merveilleux : c’est comprendre à la fois l’autre et, par réflexivité, soi-même. On a l’impression de toucher quelque chose d’invisible, d’essentiel. Quelque chose qui est en dehors de nous-même.
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