Devenir Journaliste scientifique
Par Pierre Barthélémy-
Publié le : 05/10/2014
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Lecture 7 min
" Autrefois, on demandait aux journalistes de se spécialiser. Désormais, on préfère des généralistes car ils peuvent couvrir plus de sujets "
Première partie : Présentation de Pierre Barthélémy
1) Bonjour Pierre Barthélémy. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Bonjour. Je m’appelle Pierre Barthélémy, j’ai 47 ans.
Après mes études de journalisme, j’ai commencé par travailler au Monde de 1992 à 2008 (16 ans) où j’ai occupé plusieurs postes (secrétaire de rédaction, rédacteur, reporter, chef de service…). Je me suis spécialisé dès 1996 dans la vulgarisation scientifique.
De 2008 à 2009, j’ai été rédacteur en chef chez Sciences & Vie.
Depuis 2010, je me suis mis à mon compte en tant que journaliste indépendant spécialisé dans les sciences.
2) Quelle est votre formation ?
Après un baccalauréat C, j’ai fait 3 ans de classes préparatoires littéraires (hypokhâgne, khâgne). A la suite de cela, j’ai préparé le concours du CFJ (Centre de Formation des Journalistes) où j’ai été admis. C’est une formation qui se fait en deux ans. Aujourd’hui, pour y entrer, il faut au moins une licence. Parmi les élèves, beaucoup sont diplômés d’un IEP (Institut d’Etudes Politiques) et beaucoup entrent en ayant déjà un Master 2.
3) Au vu de votre passion scientifique, pourquoi ne pas avoir fait des études scientifiques ?
Pour plusieurs raisons. D’abord, je voulais écrire. Ensuite, le système éducatif français ne donne pas vraiment envie de faire des sciences : on ne fait pas de sciences pour le plaisir de les découvrir mais pour sélectionner les élites, ce qui est dû au fait qu’en France, on a une culture des ingénieurs très forte. Cette approche ne me plaisait pas. Qui plus est, si j’ai la passion des sciences, je ne voulais pas en faire mon métier.
4) Pourquoi et comment avoir choisi de vous spécialiser en sciences ?
Je suis entré au Monde en tant que secrétaire de rédaction à 24 ans. J’ai exercé ce métier pendant 5 ans. En 1996, j’avais deux choix : soit un poste sur le thème des sciences, soit sur l’international (desk de l’Amérique). J’ai choisi les sciences car c’est un domaine délaissé par la presse : il n’y a clairement pas assez de vulgarisation scientifique en France.
5) Qu’est-ce qui vous a attiré dans le métier de journaliste ?
Dès ma plus tendre enfance, j’ai su ce que je voulais faire : vivre de ma plume, écrire et raconter des histoires. Le métier de journaliste s’est donc imposé à moi de manière naturelle.
6) Comment est né votre blog Passeur De Sciences ?
J’avais toujours fait de la presse papier auparavant. Néanmoins, Internet m’a toujours beaucoup intéressé. J’ai ouvert mon premier blog chez Slate. Le résultat a été très concluant puisque le blog a connu un vif succès. Quand Le Monde a été racheté en 2010 par le trio Bergé-Pigasse-Niel, un supplément Sciences a été intégré au journal, pour lequel j’ai créé ma chronique sur la science improbable. Dans ce cadre, il m’a paru cohérent de faire venir mon blog sous la bannière Le Monde, fin 2011. Le blog a changé de nom pour devenir Passeur de Sciences. Comme on me l’a fait remarquer récemment, c’est le blog francophone scientifique le plus lu au monde.
7) Comment s’organise votre activité ?
Mon emploi du temps est divisé en plusieurs activités : je m’occupe de mon blog (50% du temps), d’une chronique sur la science improbable, une autre dans le magazine Elle et je fais également des piges par-ci par-là.
8) Comment choisissez-vous vos articles ?
Je choisis en priorité les études qui ne sont pas traitées par les journaux francophones.
9) Pourquoi avoir choisi de travailler chez Le Monde ?
A la fin de la dernière année au CFJ, les étudiants terminaient leur formation par un stage de fin d’études. J’ai eu la chance de décrocher le mien au Monde en tant que secrétaire de rédaction. Un an après, Le Monde m’a rappelé pour m’embaucher. Et j’y suis resté près de 17 ans avant de revenir y travailler comme blogueur-pigiste.
10) Vous avez également une passion pour les échecs. D’où vous-vient cette passion ?
Il faut savoir que Le Monde avait pour tradition de couvrir les grands événements d’échec. En 1993, la personne qui en était responsable a eu un grave ennui de santé et a dû être opérée juste avant le championnat du monde. J’ai repris le flambeau au pied levé… et je l’ai gardé.
Deuxième partie : le métier de journaliste
11) Comment définissez-vous le métier de journaliste ?
Officiellement, le journaliste doit informer en fournissant des informations rapides, claires et fiables.
Officieusement, ma vision du métier de journaliste est qu’il faut raconter de belles histoires. Rien n’est plus pénible que de lire une étude scientifique. Mon but est donc de transformer une expérience compliquée décrite en jargon technique en une histoire simple et agréable à lire.
Ma recette va un peu à l’encontre de ce qui nous est inculqué dans les écoles de journalisme, où on nous apprend que dès le premier paragraphe d’un article de presse, le sujet doit répondre aux grandes questions : qui, quoi, où, quand, comment… On détaille ensuite les informations dans les paragraphes suivants. La conséquence est que le lecteur a tendance à ne lire que le premier paragraphe. Je trouve cela dommage. Je préfère raconter une histoire en entretenant le suspense et en ne disant pas tout dès le début. J’essaye donc de vraiment créer un fil narratif à mes articles : pourquoi cette idée, comment l’étude a fait pour vérifier si la théorie était vraie ou non et quelle(s) conclusion(s) on peut en tirer.
12) Pourquoi ne pas choisir de devenir médiateur scientifique ?
Contrairement au médiateur scientifique, le journaliste peut (et doit) changer de sujet tous les jours. Par ailleurs, le but du médiateur scientifique est aussi souvent de défendre la science ou l’organisme pour lequel il travaille. Le journaliste, lui, n’a pas cette obligation et dénonce les travers de la science quand il y en a.
13) Pourquoi avez-vous choisi le statut de journaliste indépendant ?
Quand on arrive à un certain âge et qu’on est dans un secteur sinistré, il n’y a pas beaucoup de place. Le statut d’indépendant permet d’ouvrir plus de portes et d’avoir plus de souplesse au niveau de ses activités, on travaille quand on veut et on dispose d’une grande liberté intellectuelle. Par contre, on n’a que très peu de vacances (j’ai pris deux semaines en tout de vacances l’année dernière) et on est parfois mal payé (certains éditeurs rémunèrent en droits d’auteur, ce qui est très désavantageux sur le plan des cotisations sociales).
14) Quelle formation conseillez-vous pour devenir journaliste ?
De plus en plus, les entreprises de presse préfèrent les candidats qui ont fait une école de journalisme type CELSA, CFJ, ESJ ou Sciences Po : quand ils arrivent dans le métier, ils sont presque opérationnels. De plus, ce sont des filières très sélectives. Pour information, au CFJ, il y a quelque 700 ou 800 candidats pour 35 pris. La sélection se fait sur concours et il faut bien se préparer.
Certains journalistes n’ont pas de formation car ils se sont formés sur le tas en proposant leurs piges aux journaux. C’est une voie tout aussi valable mais j’ai le sentiment que le cas est de plus en plus rare.
15) Quelles sont les qualités requises pour être journaliste ?
Il faut savoir parfaitement s’exprimer à l’oral et à l’écrit. Les qualités d’expression sont primordiales. Autre point fort exigé : une grande capacité d’adaptation car on change tous les jours de sujet.
Gérer le stress est également très important. En tant que journaliste, on a beaucoup de deadlines à respecter : on fait tout au dernier moment, on n’a pas souvent de routine. La journée de 8h est une utopie. Tant qu’il y a du travail, la journée n’est pas finie. Au final, on travaille souvent entre 10 et 12h par jour. C’est un métier physiquement et mentalement usant et il faut être très costaud pour supporter tout cela. J’ai malheureusement vu trop de mes collègues mourir avant l’âge de la retraite ou tout de suite après l’avoir prise.
Enfin, il faut avoir une vraie conscience professionnelle : c’est au public qu’on soumet son travail. Il faut donc être honnête envers soi-même et bien vérifier ses sources d’information.
16) Quels sont les aspects négatifs du métier de journaliste ?
Comme je l’ai dit, le stress est très présent dans le métier de journaliste. On travaille beaucoup à l’adrénaline et au bout d’un moment, c’est vraiment usant.
On subit également la pression de l’extérieur, que ce soit la pression des pouvoirs ou celle des agences de communication qui vous harcèlent pour savoir si on va ou non parler de tel ou tel produit, de telle ou telle personne, de telle ou telle décision…
Enfin, le métier de journaliste peut parfois rendre narcissique. Certains journalistes peuvent avoir un égo démesuré car ils veulent devenir des vedettes.
17) A quelle rémunération moyenne peut s’attendre un jeune diplômé ?
Un jeune diplômé, en général à Bac+5 voire Bac+7, peut toucher seulement 2 000€ brut par mois. Nous sommes dans un secteur en crise depuis 40 ans…
18) Un jeune diplômé peut-il espérer un CDI en sortant de l’école ?
C’était possible il y a 20 ans, ça l’est beaucoup moins aujourd’hui : il devra plutôt multiplier les CDD/stages et commencer en faisant des piges. Le métier de journaliste peut être précaire car on ne sait pas si on aura du travail le lendemain ou le mois suivant…
19) Quelles sont les perspectives d’évolution d’un journaliste ?
En interne, il y a bien sûr des échelons hiérarchiques mais ils ne sont pas si nombreux. C’est pour cette raison que, parfois, certains journalistes se reconvertissent, souvent dans la communication, l’exemple extrême étant ceux qui conseillent le président de la République…
Quand je suis entré au CFJ en 1988, le directeur de l’époque nous a dit le jour de la rentrée en première année : « Le métier de journaliste mène à tout à condition d’en sortir.» Je n’avais pas bien saisi à l’époque que ce qu’il voulait dire, c’est qu’il est difficile de lâcher ce métier qui est très prenant. Mais sa phrase disait aussi qu’on peut faire beaucoup de choses une fois qu’on a pratiqué ce métier.
20) Quand est-ce qu’un journaliste doit-il se spécialiser ?
Il y a deux types de spécialisation :
– la première concerne le type de journalisme qu’on souhaite faire : radio, télévision, web, agence … Cette spécialisation se fait très tôt, souvent à l’école ou lors du premier poste.
– la deuxième concerne le domaine : sciences, sport, culture, international …
21) La presse est-elle un secteur d’avenir ?
La presse est en crise depuis plusieurs années maintenant car elle n’a pas su réagir face aux mutations.
Dans les années 1990, il y avait encore beaucoup de ventes de journaux papiers. Aujourd’hui, la concurrence s’est accrue : il y a les chaînes d’information continue, des journaux gratuits, Internet avec les versions web des médias papier et les pure-players (ndlr : des média 100% numériques tel que Mediapart). Les gens disposent donc d’une large palette pour s’informer.
Pour être rentable, un journal doit vendre en masse et avec beaucoup de publicité. Ces deux piliers des recettes sont en pleine érosion. Les ventes car les journaux papier n’ont pas su se réinventer face aux mutations médiatiques des 20 dernières années. Les recettes publicitaires car la manne de la réclame, même si elle a bien grossi au fil du temps, ne cesse de se diluer dans la multitude des nouveaux médias.
Autrefois, on demandait aux journalistes de se spécialiser. Désormais, on préfère des généralistes car ils peuvent couvrir plus de sujets. C’est un cercle vicieux car les généralistes fournissent des articles moins précis, moins fournis, moins bien informés, qui ne satisfont pas l’exigence de qualité. Donc il y a moins de lecteurs, donc le chiffre d’affaire des entreprises de presse diminue, donc elles sont amenées à réduire leur personnel et l’on demande aux journalistes qui restent d’être encore plus généralistes, etc…
Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de trouver des postes intéressants. Beaucoup doivent se contenter du « bâtonnage » de dépêches, c’est-à-dire qu’ils font du copier/coller de divers articles. Ils ne peuvent pas mettre de valeur ajoutée à leur travail.
22) Quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour devenir journaliste ?
Le métier de journaliste est une drogue, on ne s’ennuie jamais. Mais c’est un métier dur et de plus en plus précaire. Il faut donc faire ce métier par passion. Les jeunes commencent souvent par « manger de la vache enragée » (faible rémunération, beaucoup de travail, stress intense…) pendant des années avant de vraiment pouvoir trouver un peu de stabilité. Il faut donc bien s’accrocher !
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