Juliette Méadel, porte-parole du PS : s’engager dans la vie politique
Par Juliette Méadel-
Publié le : 07/06/2015
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Lecture 7 min
Je conseille d’avoir d’abord exercé un métier avant de rentrer en politique et surtout je conseille de ne jamais dépendre de ses mandats et d’avoir la capacité à retrouver un emploi.
Juliette Méadel est fondatrice du collectif citoyen « l’avenir n’attend pas » et porte-parole du Parti Socialiste depuis août 2014. Elle est diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, de l’École Française du Barreau (Paris), d’un Master de Philosophie (Paris I, Sorbonne), d’un doctorat de droit privé (Thèse soutenue à Paris II) et de l’ENA (Promotion Robert Badinter).
1ère partie : parcours scolaire et professionnel
1) Y a-t-il eu un fil directeur dans toutes vos études ? Si oui, lequel ? Aviez-vous déjà un projet professionnel précis ?
Oui le fil directeur dans mes études a été la passion pour la politique dans le sens où j’ai toujours voulu changer le cours des choses et participer au bien commun d’une manière ou d’une autre. Je suis née en bonne santé dans un pays démocratique, en paix et relativement prospère : je suis consciente que certaines personnes n’ont pas eu cette chance. Je pense donc qu’il appartient à tout un chacun de contribuer, à sa façon, au bien commun. L’action politique ou civile doit réparer les inégalités et éviter la souffrance autant que faire se peut. C’est donc pour cette raison que j’ai choisi les sciences sociales comme objet d’études, à commencer par le droit qui est fondateur, la philosophie qui est vitale pour le raisonnement et enfin l’économie pour comprendre comment mieux gérer les richesses pour mieux les partager.
2) Pourquoi avoir décidé d’arrêter votre carrière en tant qu’avocate d’affaires ?
En tant qu’avocate d’affaires, je ne voyais pas en quoi je contribuais à l’intérêt général. Je me souviens de mon premier stage dans un grand cabinet d’avocats parisien, j’avais 21 ans et je devais contribuer à mettre en place des montages d’optimisation fiscale. Cela ne me convenait pas du tout de donner mon énergie pour éviter à des gros clients de payer leurs impôts en France alors même qu’ils bénéficiaient des services publics français. Moi, je voulais apporter une contribution positive à la société et participer au bon fonctionnement des services publics, tout le contraire de ce à quoi me conduisait mon activité.
3) Pourquoi avoir choisi en milieu de carrière de faire l’ENA ? Qu’est-ce que cela a-t-il apporté de plus à votre parcours déjà brillant ?
Quand j’étais avocate, j’enseignais en parallèle à l’Université Paris 13 et à Paris 2. Là, je me sentais vraiment utile en terme d’intérêt général : donner des cours à des étudiants motivés et qui ne venaient pas tous forcément d’un milieu social aisé. J’en ai vite pris conscience et ai décidé de me réorienter en politique. J’ai donc passé l’ENA, non pas dans une perspective carriériste mais plutôt pour pouvoir servir l’intérêt général à grande échelle. Le service public a vraiment du sens en France : on rencontre dans la fonction publique des agents qui sont, pour la plupart, motivés par le service du public et pour qui le sens de l’Etat est un moteur. Il faut préserver cela, c’est la richesse de la France. C’est aussi une de nos caractéristiques : un Etat fort c’est d’abord plus de justice. Bien sûr, l’Etat doit savoir se réformer, mais n’oublions pas ce que nous devons, en France, à nos services publics.
4) En quoi consiste le métier de rapporteur à la Cour des Comptes ?
C’est un métier passionnant en ce qu’il vous conduit à analyser, en toute indépendance, l’efficacité des politiques publiques et en particulier la manière dont les richesses publiques sont utilisées et gérées. La Cour des Comptes est le seul endroit de la République (avec aussi sans doute les Universités), où l’on peut réfléchir de manière indépendante. Le statut de magistrat donne à ses membres une grande liberté. Les conditions d’adoption d’un rapport sont soumises à une stricte collégialité et à un travail en commun réalisé par des experts très compétents. Un ex : la Cour examine par exemple si l’Education nationale utilise correctement son budget ; elle évalue aussi la performance des services publics et la certification des comptes. Elle donne des recommandations et des conseils.
5) Pourquoi avoir choisi d’être porte-parole du PS ?
Je ne l’ai pas choisi, on me l’a proposé. C’était un honneur pour moi d’être porte-parole du Parti Socialiste. Je considère qu’il s’agit d’une activité militante que je réalise, comme tout militant, le soir et le week end, lorsque j’ai achevé mon travail. Il y a une frontière étanche entre mon activité associative et politique et mon activité professionnelle. Je pense par ailleurs qu’il est essentiel pour tout un chacun de pouvoir se consacrer à des activités associatives ou de nature civiques à côté de son travail. C’est presque aussi important que d’aller voter dans un Etat de droit.
6) Avec du recul, y a-t-il des choses que vous feriez différemment ?
Oui, par exemple j’aurais fait l’ENA tout de suite après Sciences-Po, quand j’avais 23 ans. C’est plus facile de faire l’ENA quand vous êtes encore étudiant et que vous n’avez pas de charge de famille. J’ai dû partir à Strasbourg alors que je venais d’avoir mon premier enfant et ce fut vraiment difficile sur le plan affectif. L’ENA ne vous aide pas à cumuler une vie familiale en même temps que la scolarité. J’ai dû attendre la fin de l’école pour avoir mes 2 autres enfants ce qui fut long. Il est essentiel de permettre aux femmes de mener les même carrières que les hommes sans les obliger à choisir entre vie familiale et carrière professionnelle.
Cela étant dit, je pense que l’ENA souffre d’une trop faible diversité des profils. Il faudrait plus recruter dans le secteur privé qui ne représente actuellement que 10% des effectifs. Je pense qu’il faudrait créer une nouvelle filière où on mélange plus le public et le privé. Le 3ème concours devrait être offert à tous ceux qui ont une expérience de 4 ans dans le secteur privé. Avoir de l’expérience devrait être une condition préalable avant d’intégrer les grands corps de l’Etat qui mettent en situation d’avoir à arbitrer dans le bon sens. Je pense que pour prendre les bonnes décisions, il faut un minimum d’expérience professionnelle.
7) Quels conseils donneriez-vous aux étudiants pour choisir leur orientation ?
Si j’ai appris quelque chose dans ma vie, c’est bien que rien n’est joué d’avance. Il ne faut pas hésiter à prendre des risques, à avoir confiance en soi et à se projeter dans le futur. Plutôt que se demander ce qu’on souhaite devenir, il faut se demander ce qu’on aimerait faire… puis le faire 🙂 et si l’on se trompe, on recommence. Le mot « échec » si français devrait être positif : si je tombe de mon cheval ce n’est pas grave. Ce qui compte c’est de se relever et de remonter rapidement.
2ème partie : parcours politique
1) Construire un avenir plus harmonieux et plus juste passe-t-il par la politique ? Pourquoi avoir choisi de créer l’association L’Avenir N’attend Pas ?
Dans une démocratie, les partis politiques sont les principaux instruments du pouvoir car le pouvoir se gagne par les élections. Ensuite, c’est au Parlement que se font les lois. A ce titre, c’est donc par la politique qu’on peut faire avancer les choses.
Aujourd’hui, les partis politiques sont en crise. D’autres lieux de décisions émergent, se développent, et c’est tant mieux : les associations, les collectifs citoyens comme l’avenir n’attend pas, les mouvements de rue. Les réseaux sociaux qui sont un lieu d’expression et non d’action, ont aussi un rôle.
J’ai fondé l’association L’Avenir N’attend Pas car je me suis aperçue que peu de politiques se souciaient suffisamment des problématiques liées à l’enfance et à la jeunesse. Je voulais donc les sensibiliser à ce thème pour qu’ils comprennent bien que le développement, l’orientation et le bien-être des enfants est une question cruciale lorsque l’on entend modifier l’avenir.
2) Y a-t-il un profil type de personne (CSP, âge, sexe, formation) travaillant en politique ou dans un parti politique ?
Oui hélas, on a bien souvent affaire à un homme d’une cinquantaine d’années, de catégorie socio-professionnelle supérieure, fonctionnaire, retraité ou avocat. On rencontre également des collaborateurs d’élus. En général, les diplômes, s’il y en a, sont plutôt en droit, économie ou sciences politiques.
3) Que voudriez-vous dire aux jeunes qui souhaiteraient s’investir dans la vie politique mais qui se sentent désabusés par elle ?
Déjà, je comprends qu’ils soient déçus par les partis politiques. Mais en même temps, l’état dans lequel se trouve un parti dépend de l’engagement des jeunes. Je conseille aux jeunes désireux de rejoindre un parti politique de venir en masse pour prendre le pouvoir et de fonder aussi leurs mouvements propres. Les choses ne sont pas figées d’avance et il ne faut pas se laisser impressionner.
4) Etre une femme en politique peut-il être un désavantage ? Si oui, comment le surmonter ?
Oui c’est clairement un désavantage car bien souvent, le monde politique est mysogine. Par ailleurs, quand une femme a des enfants, elle se rend vite compte qu’il faut parfois faire un choix entre sa vie professionnelle et personnelle car des réunions se tiennent régulièrement le week-end ou tard le soir ce qui ne laisse que peu de temps pour s’occuper des enfants. La parité aide à surmonter cela. C’est une avancée majeure.
5) Le monde politique a l’air particulièrement difficile. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes pour rentrer en politique ?
Le monde politique n’est pas plus difficile que le monde des affaires. La seule différence est que le monde politique est médiatisé ce qui crée un effet de loupe sur les turpitudes des uns et des autres. Il y a un effet « miroir aux alouettes » qui résulte de la « peopleisation » de la politique mais la réalité est tout autre. Il faut penser à l’engagement des élus locaux, des maires de petites communes et ils sont nombreux, qui réalisent un travail remarquable, ingrat mais si utile pour nos concitoyens.
6) Quelles compétences, qualités, formation faut-il ?
Idéalement, et si l’on regarde des références en politique comme Robert Badinter, il faut d’abord être un gros travailleur. Sur le plan des matières requises, le droit est la base absolue. Ensuite, il faut naturellement s’intéresser à l’histoire de France et avoir la capacité à s’interroger sur le bien fondé des politiques menées avant d’agir. Se poser les bonnes questions pour pouvoir ensuite y répondre. Il n’y a pas de diplôme requis mais c’est vrai que ce que l’on apprend à la Faculté de droit, d’économie, d’histoire, de philosophie et à Science po ou à l’ENA aident. Qui plus est, la vie militante et associative aide bien, tout comme « l’école de la vie ».
7) Quels sont les inconvénients de travailler en politique ? Une expérience politique peut-elle être bien vue aux yeux d’un recruteur dans le privé ?
Je conseille d’avoir d’abord exercé un métier avant de rentrer en politique et surtout je conseille de ne jamais dépendre de ses mandats et d’avoir la capacité à retrouver un emploi. Pour cela, il ne faut pas perdre de vue le marché du travail lorsque l’on est élu. Les entreprises ne voient pas forcément d’un bon œil les parcours politiques des individus. Il faut que ça change.
3ème partie : conseils pour les chômeurs
1) Pensez-vous qu’il faille quitter la France (même de manière provisoire) pour trouver son premier travail ?
C’est une bonne chose d’aller à l’étranger pour se former. Néanmoins, quitter la France par dépit ne me paraît pas un bon choix. Il faut partir pour découvrir et s’épanouir. Notre pays n’est pas dans une situation tellement dramatique qu’il faille le quitter pour vivre. D’ailleurs, beaucoup d’expatriés reviennent travailler en France.
2) Quels conseils donneriez-vous aux chômeurs pour (re)trouver un travail ?
Déjà, il ne faut pas rester seul chez soi. Il faut bouger. D’une manière ou d’une autre, aller à la rencontre de tous ceux qui peuvent vous donner des pistes, des conseils, des contacts. il faut chercher des formations complémentaires à Pôle-Emploi ou frapper aux portes. Il est également important de discuter avec des gens dans le secteur dans lequel on souhaite travailler, participer à des événements et chercher des informations auprès de professionnels. Mais surtout, se dire que la perte d’un emploi n’est pas un échec personnel mais le fruit de circonstances qu’il faut comprendre pour surmonter.
3) Merci pour cette interview. Je vous laisse le mot de la fin.
Il est primordial de rester toujours positif et de ne jamais baisser les bras car rien n’est jamais fixé d’avance si on s’en donne les moyens. Le pessimisme ne mène à rien. Gardez la tête haute et ayez confiance en vous.
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