Laure Saint-Raymond, mathémagicienne de haut vol
Par Laure Saint-Raymond-
Publié le : 26/08/2014
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Lecture 5 min
Propos recueillis par Vocajob auprès de Laure Saint-Raymond.
Laure Saint-Raymond est Professeur des Universités à l’université Paris 6 Pierre et Marie Curie depuis 2002 et, depuis 2007, elle fait la totalité de son service d’enseignement et de recherche à l’ENS Ulm (cette convention a une durée maximale de 10 ans). Avant cela, elle avait travaillé pendant 2 ans au CNRS en tant que chercheur à temps plein.
Pour pouvoir exercer ce métier, après le baccalauréat, elle a fait deux ans de classe préparatoire au lycée Henri IV puis a intégré l’ENS Ulm. Elle y a préparé une thèse en mathématiques, dans un domaine qui est en fait à l’interface avec la physique. Quelques années plus tard, elle a soutenu une habilitation à diriger les recherches (qui atteste de l’autonomie dans le travail de recherche et permet d’encadrer des étudiants en thèse).
1) En quoi consiste le métier de chercheur-enseignant en mathématiques ?
– Le travail se décompose en plusieurs parties :L’enseignement (1/3 du temps)
– La veille scientifique (1/3 du temps) par la lecture d’articles spécialisés et la participation à des conférences. Elle s’applique également à communiquer et à diffuser les fruits de ses recherches à ses confrères. C’est important car cela lui permet de mettre en forme ses idées, de prendre du recul par rapport aux résultats, de les comprendre plus en profondeur
– Enfin, la recherche à proprement parler (1/3 du temps). Selon les préférences des gens, on peut soit faire de la recherche seul soit en groupe de deux ou trois personnes.
2) Quelle formation faut-il pour devenir chercheur-enseignant en mathématiques ?
D’obligatoire, il y a la thèse. Après, peu importe le chemin qu’on a pris pour la faire (université, écoles d’ingénieur…). Il existe des parcours multiples mais quels qu’ils soient, la thèse est un exercice obligatoire. C’est l’expérience sine qua none pour travailler dans la recherche. Durant la thèse (qui dure au moins 3 ans), on étudie une question ouverte. C’est donc l’occasion de savoir si on a le goût pour les métiers de la recherche. Par ailleurs, c’est un exercice où il faut apprendre à se dépasser et à imaginer des solutions nouvelles.
3) A quoi sert l’agrégation ?
L’agrégation est un concours qui permet d’être enseignant au lycée ou en classes préparatoires. Pour pouvoir enseigner en classes préparatoires, il faut être bien classé (ie : être dans les 30 premiers). La thèse n’est pas obligatoire mais elle est très fortement recommandée.
Laure Saint-Raymond a passé l’agrégation mais elle ne s’en est jamais servi !
4) Qu’est-ce qui peut attirer vers les mathématiques ?
C’est plutôt difficile à expliquer. La plupart des gens qui ne font pas de mathématiques ont une vision faussée de cette matière. Les mathématiques qui sont enseignées au lycée ne permettent pas d’appréhender ce que fait un mathématicien au quotidien, d’une part parce que les objets que l’on étudie sont un peu trop complexes pour être définis à ce niveau, mais surtout parce qu’on a renoncé en partie à enseigner la logique et la rigueur qui sont constitutives de cette discipline.
Laure Saint-Raymond conçoit les mathématiques comme un jeu de construction, avec des règles très précises et jeu où il faut surtout inventer de nouvelles connections entre les problèmes. C’est un très beau métier à ses yeux, on dispose d’une grande liberté et d’une stimulation intellectuelle permanente.
5) Pourquoi choisir de travailler dans le monde universitaire et non pas dans un centre de recherche ou même, la R&D d’une entreprise ?
C’est difficile de comparer ce qu’on connaît (le monde académique en ce qui la concerne) et ce qu’on ne connaît pas du tout. La recherche fondamentale comme elle la pratique offre plus de libertés : elle peut par exemple plus facilement choisir ses sujets de recherche, ses collaborateurs, et l’organisation de son travail. Et les projets de recherche peuvent s’étaler sur une durée beaucoup plus longue, ce qui est une condition essentielle pour prendre des risques et obtenir des résultats vraiment originaux.
A priori Laure Saint-Raymond ne pense pas se tourner vers l’entreprise à moyen terme.
6) Y a-t-il une différence entre un mathématicien et une mathématicienne ?
Non. Le métier est aussi ouvert pour les hommes que pour les femmes. Un des avantages de ce métier est qu’il est compatible avec une vie de famille car on peut organiser son temps comme on le désire.
7) Y a-t-il encore beaucoup de choses à trouver en mathématiques ? Le niveau requis pour faire une avancée même minime devient de plus en plus élevé. Comment s’y prendre pour apporter sa pierre à l’édifice ?
Il reste encore une infinité de choses à trouver.
Pour ce qui est du niveau requis, les chercheurs sont de nos jours beaucoup plus spécialisés qu’avant. Autrefois, on pouvait être à la fois philosophe, physicien et mathématicien. De nos jours, ce n’est clairement plus le cas : même à l’intérieur des mathématiques, on n’a accès en général qu’à un tout petit sous-domaine. Pour ce qui est d’apporter une contribution significative, c’est difficilement prévisible : certains sont plus inventifs que d’autres, ont plus d’intuition, mais il y a aussi un facteur chance.
8) Comment décrire le monde de la recherche en mathématiques ?
C’est une petite communauté d’environ 4 000 enseignants-chercheurs.
La reconnaissance passe essentiellement par les publications, et par leur qualité plus que leur quantité.
9) Face à la baisse des budgets liée à la recherche ainsi qu’à la faible rémunération du métier, beaucoup d’étudiants préfèrent se tourner vers l’industrie. La recherche peut-elle être encore attractive pour les étudiants ?
Tout cela est vrai. Néanmoins, comme dit, le métier d’enseignant-chercheur comporte de nombreux avantages : d’abord, on bénéficie d’une très forte stimulation intellectuelle et d’une grande liberté dans son travail et son organisation. On peut également choisir ses collaborateurs, ce que très peu de métiers offrent. Enfin, c’est un métier où la routine n’existe pas.
Pour Laure Saint-Raymond, la recherche scientifique doit rester une priorité pour la France.
10) Quelle rémunération nette mensuelle peut-on espérer en tant que jeune diplômé ?
En tant jeune diplômé, on peut s’attendre en tant que maître de conférences à une rémunération d’environ 1700€ par mois. En fin de carrière, si on a passé avec succès tous les concours de promotion, on peut atteindre jusqu’à 5000€ salaire auquel se rajoutent éventuellement les primes de recherche (environ 1 000€).
11) Quelles sont les évolutions de carrière ?
A l’université, on commence d’abord par le poste de maître de conférences. Ensuite, il y a 4 corps auxquels on peut accéder par concours (évaluation de l’activité d’enseignement et de recherche). Dans l’ordre : Professeur des Universités de 2nde classe puis de 1ère classe, puis Professeur de classe exceptionnelle 1er échelon puis 2nd échelon.
Parallèlement, il y a des carrières au CNRS ou dans des organismes de recherche, pour lesquelles il n’y a pas d’activité d’enseignement.
12) Quels conseils donner aux étudiants désirant travailler dans la recherche ?
Il faut faire une thèse. C’est une formation exigeante et donc très constructive à la fois sur le plan intellectuel et sur le plan de la personnalité. C’est très important d’être encadré par une personne avec qui l’on a de bons rapports humains. Une fois que l’on est décidé pour un grand domaine de recherche (à l’issue du master), la première étape si on veut se lancer dans une thèse est de choisir cet encadrant. C’est lui qui propose ensuite un ou plusieurs sujets de recherche, qui guide les premiers pas, réoriente les questions en fonction des résultats obtenus et des pistes qui n’ont pas abouti.
Il est vrai que le métier de chercheur-enseignant est parfois éprouvant car on passe plus de temps à chercher qu’à trouver, et ce qu’on trouve n’est pas toujours ce que l’on cherchait. Néanmoins, c’est une aventure collective qui est vraiment enthousiasmante.
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